Tourisme Charlie Chaplin entre au musée
Le monde de Chaplin, petit homme au chapeau melon et aux chaussures trop grandes
Coiffé d’un chapeau, barbe et cheveux blancs, yeux bleus pétillants, Michael Chaplin, deuxième des huit enfants de Charlie Chaplin et Oona O’Neil, entre dans le manoir de Ban, la maison de son enfance où il n’a plus remis les pieds depuis belle lurette, et s’émerveille de la restauration du sol en mosaïque du rez-de-chaussée.
Il monte ensuite à l’étage où se trouvaient les chambres des enfants, indique où était la sienne et admire la vue sur le lac Léman et les Préalpes. «Nous passions des heures à regarder à la fenêtre. C’était un merveilleux endroit pour des enfants. J’ai eu une très belle enfance.» En 1952, Charlie Chaplin devient persona non
grata aux États-Unis pour cause de prétendues sympathies communistes. Il achète le manoir de Ban pour y élever sa famille, séduit par la maison et son immense jardin. Oona est alors enceinte de leur cinquième enfant.
Après la mort de leur mère en 1991, Michael et son frère reviennent habiter la maison pendant quelques années et constatent l’intérêt du public pour le lieu. «Il y avait très souvent des gens qui s’arrêtaient devant les grilles et on les laissait entrer dans le jardin, se souvient Michael Chaplin. On ne pouvait leur montrer la maison parce qu’on y vivait, mais l’idée d’un musée a commencé à germer, surtout que l’entretien devenait très lourd.» C’est là que le concepteur Yves Durand entre en scène. Ce Québécois, économiste de formation, a touché à la communication et au marketing avant d’aboutir à la muséologie, signant notamment la scénographie de l’Archéoforum de Liège.
En 2000, lors d’une mission dans la région avec des projets liés aux technologies et aux médias, il rencontre Philippe Meylan.
L’architecte et entrepreneur, qui est allé à l’école du village avec les enfants Chaplin, lui mentionne que les membres de la famille cherchent à fonder un musée. Enthousiaste, Yves Durand réfléchit à un concept et rencontre les Chaplin, qui reçoivent bien sa proposition. Désormais associé à Philippe Meylan, il continue à peaufiner son projet et à documenter son sujet.
Le manoir est acheté en 2008, après une association avec Genii Capital, une firme oeuvrant dans l’immobilier et la technologie. Le projet, appuyé par la communauté, est accepté par les écologistes mais se heurte à l’opposition d’un voisin, ce qui retardera les travaux de quelques années.
Les obstacles franchis, Yves Durand s’assure la collaboration de l’architecte François Confino, associé au très beau Musée national du cinéma de Turin, en Italie. En 2014, dans la foulée de l’ouverture du Musée Grévin à Montréal, il entrevoit la valeur ajoutée que des personnages de cire pourraient apporter au musée. Grévin international emboîte le pas. Toutes les pièces du puzzle sont en place.
«Nous passions des heures à regarder à la fenêtre. C’était un merveilleux endroit pour des enfants. Michael Chaplin, deuxième de la famille de huit de Charlie Chaplin et Oona O’Neil, au manoir de Ban, la maison de son enfance
Le musée Chaplin comprend trois bâtiments: ce manoir où l’on a recréé l’ambiance familiale, l’habitation du personnel qui abrite les bureaux et le garage où logent la billetterie, la boutique et le restaurant, dans le prolongement duquel on a construit un ajout imposant, quoique discret de l’extérieur, qui fait revivre les studios hollywoodiens de Chaplin.
«J’ai voulu raconter une histoire », explique Yves Durand. À travers son oeuvre, on revit le XXe siècle. «Chaplin s’alimentait à la pâte humaine et sociétale de son époque. Nous avons voulu faire de ce musée quelque chose de vivant et non pas un mausolée.»
La partie «studio»
Le parcours de la partie «studio», où l’oeuvre de Chaplin a été mise en scène, commence dans une salle de cinéma de 150 places où est projeté un montage de 10 minutes des séquences amusantes tirées des meilleurs de ses 81 films, qui s’arrête sur l’image d’Easy Street. L’écran se lève et les visiteurs peuvent s’avancer dans la rue de l’enfance de Chaplin et de ses premiers films.
Plus loin, on évoque le music-hall. Des images en carrousel se répondent, illustrant les meilleurs moments du cinéma muet, puis sept écrans sont consacrés à la pantomime, un art dans lequel excellait cet homme de gestes.
Les visiteurs descendent ensuite dans l’antre du cinéma de Chaplin en regardant la scène dans laquelle Charlot essaie de descendre un escalier mobile qui monte. Clin d’oeil à la culture du selfie, les gens pourront saisir les occasions de photos ici et là, dans les décors des Temps modernes, de La ruée vers l’or, du Dictateur, ou de L’émigrant.
Cela, devant l’équipement cinématographique des années 1910, 1920 et 1930 de la collection de la Cinémathèque suisse, ou avec une trentaine de personnages de cire, acteurs, personnalités ou personnages de films. La visite du studio se termine sur la scène finale des Feux de la rampe, où le visiteur reçoit une ovation debout.
La vie
Après avoir exploré l’oeuvre du génie du cinéma, on passe à l’homme et à sa vie familiale, soit en flânant dans les jardins qui font partie intégrante du musée, soit en découvrant le manoir qui fut la maison des Chaplin de 1953 à la mort du héros, le soir de Noël 1977.
L’imposante maison bâtie en 1840 règne sur un immense domaine de 14 hectares. L’historique manoir de Ban a retrouvé son enveloppe d’origine, le concepteur n’ayant pris que quelques libertés à l’intérieur pour de louables motifs muséologiques.
La généalogie des Chaplin qui nous accueille dans le hall du manoir mentionne la branche tsigane de la famille, que ni Charlie ni ses enfants ne renient. De là, on accède à une enfilade de pièces — bibliothèque, salon et salle à manger —, où les meubles originaux donnent une idée de l’ambiance de la vie quotidienne.
Chaplin a joué sur ce piano à queue, parfois en compagnie de ses amis musiciens. Ce sont ses propres livres qui garnissent les étagères de la
«
Chaplin s’alimentait à la pâte humaine et sociétale de son époque. Nous avons voulu faire de ce musée quelque chose de vivant et non pas un mausolée. Le Québécois Yves Durand, concepteur du projet Chaplin’s World
pièce dans laquelle il a écrit ses mémoires. Et la table, entourée de 10 chaises, est celle qui a rassemblé toute la famille autour des repas pris tous les jours à heures fixes.
En montant l’escalier, renforcé au carbone pour supporter le poids des foules attendues (jusqu’à 300 000 visiteurs par année!), on accède à l’étage.
Attention, il est hanté. La propriétaire précédente serait morte sur la septième marche que les enfants Chaplin avaient l’habitude de sauter!
Dans la chambre du couple, comme ailleurs dans la maison, on peut voir beaucoup de photos personnelles. La chambre attenante, où Chaplin l’insomniaque se retirait parfois et où il est mort, a été meublée de copies des meubles authentiques dont les enfants n’ont pas voulu se séparer.
La salle de bain est la reconstitution de celle d’Un roi à New York. Le dernier étage, où se trouvaient les chambres des enfants, n’est ouvert qu’à l’occasion d’événements spéciaux.
La visite peut facilement s’étirer sur trois heures. «Nous voulons que les visiteurs y passent un bon moment et sourient toutes les 20 secondes, mais nous fournissons aussi du matériel plus pointu pour abreuver les fans de Chaplin », conclut Yves Durand.