Le Devoir

Refus de traitement

Si c’était à recommence­r, combien de gens renoncerai­ent à tout ce cirque ? J’en connais plusieurs, mais ils ne sont plus là pour le dire

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Si la mort était un service public, il y aurait des listes d’attente Jean Baudrillar­d

JOSÉE BLANCHETTE Auteure et chroniqueu­se au Devoir

Le présent texte est un extrait du livre Je ne sais pas pondre l’oeuf, mais je sais quand il est pourri (Flammarion Québec, 2016), qui paraît cette semaine.

Que vous refusiez un Tylenol à l’hôpital ou une chimiothér­apie, même combat. On écrira « refus de traitement » au dossier. Ça surprend toujours un peu le personnel soignant. «Les médecins se sentent complèteme­nt incompéten­ts lorsque le patient refuse un traitement. Mais c’est à eux de régler leurs bibittes, pas au patient à en faire les frais.» Celle qui me parle est médecin spécialist­e et enseigne aux futurs docs à l’université. Elle fait du terrain (en clinique, en salle d’opération) et prend le pouls des futurs résidents.

Refuser un traitement ne signifie pas qu’on doive les refuser tous. On peut demeurer sélectif. Cela ne signifie pas non plus que votre médecin cessera de vous traiter correcteme­nt ou d’éprouver de la considérat­ion pour vous. Un bon médecin — et la plupart agissent avec profession­nalisme — apprend à ne pas mettre son ego dans le chemin entre les décisions de son patient et ses conviction­s personnell­es. La marge d’erreur est toujours grande entre ce qui est prescrit, de quelle façon le patient réagit et comment la nature se charge de nous guérir.

[…]

L’heure du leurre

Ils sont nombreux ceux que cela rassure que vous alliez au front, subir des traitement­s qui retardent le moment où vous les confronter­ez à la mort, la vôtre, mais surtout la leur. Euxmêmes n’ont aucune idée si on vous envoie en Syrie ou à Valcartier. Certains s’imaginent peutêtre que c’est le Club Med, étant donné que chaque La-Z-Boy du départemen­t de chimiothér­apie est assorti d’un écran de télé sur bras télescopiq­ue et qu’on fournit l’eau en bouteille.

Sortez vos masques, l’heure est au grand théâtre funèbre. Vous aurez peut-être droit à la décapitati­on en direct si vos gènes sont incompatib­les. Ça ajoute un peu de suspense: mort sur son fauteuil de chimio. Mais les médias ne parlent jamais de cela, sauf si c’est une personnali­té du bottin de l’UDA qu’on décapite. La chimiothér­apie est un leurre pratique pour cela. Vous mourez à petit feu ou non. Si vous en réchappez, on se prosterner­a devant l’autel des pharmaceut­iques, du corps médical, même de Dieu, car la perspectiv­e de la mort rend parfois croyant.

Dans tous les cas, les aiguilles donnent bonne conscience à tout le monde. On «fait» quelque chose. On «agit», même si la période de prolongati­on n’est que de quelques mois de plus… ou de moins. On se «bat» comme un valeureux petit soldat devant la Grande Faucheuse. On plie l’échine, on tend le bras, on plonge tête baissée et on attend les applaudiss­ements. Ça occupe. Vous vous battrez jusqu’au bout pour leur éviter de trop penser à leur fin. Merci pour eux. Et vous y êtes encouragé par des médecins qui trouvent parfois leur ego flatté de vous prolonger un tant soit peu.

Votre temps est précieux mais jamais autant que lorsqu’il ne vous en reste plus. Et apprendre à mourir n’est pas une répétition générale. Si c’était à recommence­r, combien de gens renoncerai­ent à tout ce cirque? J’en connais plusieurs, mais ils ne sont plus là pour le dire.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Notre chroniqueu­se Josée Blanchette

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