Le chef de Boko Haram vivant, mais de plus en plus marginalisé
L’armée a annoncé avoir tué 22 combattants dimanche soir
Le chef du groupe djihadiste nigérian Boko Haram, Abubakar Shekau, a refait surface dans une nouvelle vidéo diffusée samedi dans la nuit, se disant en « bonne santé », alors que l’armée l’avait dit grièvement blessé et que son statut de leader est remis en cause au sein du groupe islamiste. L’armé a répondu en annonçant avoir tué 22 combattants dimanche soir.
« Vous avez dit sur les réseaux sociaux m’avoir blessé ou m’avoir tué », mais je suis heureux, en bonne santé et en sécurité. Je vais parfaitement bien », lance Shekau aux autorités nigérianes, entouré de deux combattants en armes.
L’armée avait assuré le 23 août l’avoir ciblé avec ses proches combattants lors d’un raid aérien dans son fief, la forêt de Sambisa, dans le nordest du pays, et l’avoir « grièvement blessé à l’épaule ».
Dans cette nouvelle vidéo d’une quarantaine de minutes diffusée sur Youtube, Shekau
apparaît souriant et provocateur, et menace directement le président nigérian Muhammadu Buhari.
À la tribune des Nations unies à New York vendredi, celui-ci a demandé l’aide de la communauté internationale pour répondre à la crise humanitaire catastrophique dans le nord-est du Nigeria, où 50 000 enfants de moins de cinq ans pourraient mourir de faim d’ici la fin de l’année.
M. Buhari a également demandé à l’ONU de le soutenir dans les négociations pour libérer les 218 lycéennes de Chibok kidnappées il y a plus de deux ans et toujours aux mains de Boko Haram.
«Nous ne ramènerons pas vos filles. Si vous voulez que l’on vous rende vos filles, rendez-nous nos frères », menace Abubakar Shekau dans cette nouvelle vidéo, en parlant de ses militants emprisonnés.
Dans un premier temps, l’armée, par le truchement de son porte-parole a publié un communiqué, qualifiant Shekau de « malade mental » et de «fou» . «Il tente de nier le raid aérien conduit par la Nigerian Air Force, dans lequel il a été blessé. Mais cette vidéo prouve une fois encore que le chef de cette faction terroriste est mentalement dérangé », a déclaré Sani Usman.
Dimanche soir, l’armée nigériane a publié un nouveau communiqué, pour faire état d’un combat qui aurait fait 22 morts au sein de la faction de Shekau. «À 1 h du matin, dimanche 25 septembre, des membres soupçonnés d’appartenir à Boko Haram ont attaqué nos forces dans le district de Logomani, État de Borno […]. Nos militaires ont riposté efficacement en tuant 22 combattants », précise Sani Usman. Quatre soldats nigérians ont été tués et deux blessés.
Leadership remis en cause
À la tête de Boko Haram depuis 2009, Shekau n’apparaissait que très rarement sur des vidéos ces dernières années. Pourtant, depuis un mois, ses déclarations — audio ou vidéo — sont plus fréquentes.
Cette présence médiatique accrue fait suite à la remise en cause de son leadership. Le groupe État islamique (EI), à qui Boko Haram a prêté allégeance en mars 2015, a en effet désigné début août 2016 un nouveau chef de l’organisation, Abou Mosab Al Barnaoui.
Le 4 août, au lendemain de cette annonce dans l’hebdomadaire du groupe EI, Shekau a diffusé un message audio pour assurer qu’il était «toujours là».
Dix jours plus tard, plusieurs lycéennes de Chibok réapparaissaient dans une vidéo postée sur Youtube, et sa date de diffusion n’était pas un hasard, selon les experts.
«Cette vidéo est ouvertement liée à la décision du groupe EI de remplacer le leader Shekau par Barnaoui. C’est aussi un message au gouvernement nigérian pour leur dire que même s’il [Shekau] a été remplacé, c’est toujours à lui qu’ils ont à faire », analysait alors Kyle Shideler, de Center for Security Policy.
Mi-septembre, à l’occasion des célébrations de la fête musulmane de l’Aïd, et après l’annonce du raid de l’armée, des centaines de villageois, imams et combattants apparaissaient dans une autre vidéo pour rappeler que « le califat islamique [était toujours] sous le contrôle d’Abubakar Shekau».
La bataille interne pour contrôler le mouvement djihadiste se traduit sur le terrain dans des combats comme à Monguno (État du Borno) début septembre, où plusieurs combattants de la faction de Shekau ont été tués par leurs rivaux. Mais elle se fait aussi par une guerre de propagande.
Shekau «a plus de combattants à ses côtés que Barnaoui et son allié Nur, notamment au sein de l’ethnie Kanuri [dont il est issu]», expliquait mardi à l’AFP Jacob Zenn, de la Jamestown Foundation, spécialiste du conflit.
«Mais les dirigeants du groupe EI qui ont accepté son allégeance en 2015 et qui faisaient connaître autrefois leur passion pour Shekau sont morts. Shekau a peu de soutien dans les rangs [actuels] du [groupe] EI », poursuivait cet expert du djihadisme.
Nathaniel Allen, chercheur pour le Nigeria Social Violence Research Project, de Johns Hopkins School, atteste d’un « déclin » de l’insurrection de Boko Haram, notamment de la faction Shekau.
Il note «l’échec du groupe à s’étendre au-delà du nord-est du Nigeria, une perte de soutien de la population, des stratégies peu réfléchies, et une meilleure réponse des opérations militaires » pour expliquer ce «repli».
Isolé idéologiquement par le groupe EI, et militairement par l’armée nigériane qui encercle désormais la forêt de Sambisa, Shekau est de plus en plus marginalisé.
Cela « pourrait conduire à des massacres encore plus violents et aveugles », écrivait M. Zenn dans un article daté du 20 septembre. «Cela lui permettrait d’attirer une plus grande attention sur lui, pour compenser les pertes sur le terrain et de ses soutiens financiers ».
Le 4 août, au lendemain de cette annonce dans l’hebdomadaire du groupe EI, Shekau a diffusé un message audio pour assurer qu’il était «toujours là»