Le Devoir

Une baisse de salaire due à sa maternité

Une médecin a échoué à remplir son quota de patients car elle était absente du bureau pendant son congé

- AMÉLIE DAOUST-BOISVERT

Jugeant les nouvelles mesures de Québec envers les médecins de famille sexistes et discrimina­toires, une omnipratic­ienne compte amener son dossier devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Au sortir d’un congé de maternité, elle a appris que sa rémunérati­on serait amputée d’environ 15%, car étant absente du bureau pendant une bonne partie de sa première année de pratique, elle n’a pas eu le temps d’inscrire 500 patients.

La Fédération des médecins omnipratic­iens du Québec (FMOQ) a demandé au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) de remédier à la situation.

La Dre Évelyne Bourdua-Roy a obtenu son permis de pratique en octobre 2015. Alors enceinte de son deuxième enfant, une grossesse à risque, elle commence à pratiquer sur la Rive-

Sud de Montréal et à inscrire des patients entre ses propres rendez-vous médicaux. Elle arrive à en prendre en charge une centaine avant son accoucheme­nt. Elle sera en congé de maternité de février à la fin août 2016.

Entre-temps, la FMOQ et le MSSS adoptent, en juin, une nouvelle grille tarifaire. Dans cette grille, qui est publiée sur le site Web de la FMOQ, les actes posés par les médecins ayant moins de 500 patients sont rémunérés entre 10 et 15 % de moins, selon les actes, que ceux posés par les médecins qui ont atteint la cible de 500 inscrits. Par rapport aux anciens tarifs en vigueur, il s’agit d’une bonificati­on.

Les nouveaux médecins reçoivent cette «prime» associée à l’inscriptio­n de 500 patients pendant un an, après quoi ils la perdent s’ils n’ont pas atteint la cible.

La Dr Bourdua-Roy est tout à fait prête à suivre 500 patients

et plus. Quand elle est revenue au bureau en septembre, elle a appris qu’il ne lui restait que jusqu’à la mi-octobre pour atteindre l’objectif. Le sablier d’un an avait continué à s’écouler pendant son congé de maternité. Pour être inscrits, les patients doivent être vus. « Ce n’est pas humainemen­t possible d’y arriver pour la mi-octobre», constate-t-elle.

«C’est mon problème si j’ai un utérus! s’indigne-t-elle. Je considère que c’est de la discrimina­tion sexuelle. »

« Je travaille à temps plein. Mes patients me voient en moins de deux jours. J’aime faire de la prise en charge. La médecine, c’est ma deuxième carrière et c’est pour ça que je me suis intéressée à la médecine de famille. Je suis très motivée, mais je suis pénalisée tout de même. »

Elle affirme dénoncer la situation «par principe», en raison de ses conviction­s féministes. «Il se peut que ça ne me bénéficie jamais. Je ne dénonce pas pour toucher la prime. Mais au moins, la discrimina­tion s’arrêtera là pour les suivantes», explique-t-elle. « Il y a une majorité

de jeunes femmes en médecine. On est en 2016, elles ne devraient pas avoir à choisir entre avoir un enfant et être rémunérées à la même hauteur que leurs collègues. » Parmi les médecins de moins de 40 ans, 66% sont des femmes. Chez les 24-29 ans, la proportion atteint 73,6%.

Sur la table du MSSS

Ayant déjà établi un contact avec la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, la Dre BourduaRoy déposera une plainte dès que le préjudice sera effectif, c’est-à-dire à la mi-octobre, comme le veut la procédure.

Entre-temps, la FMOQ a présenté une demande d’exception à la table permanente de négociatio­n avec le MSSS afin que deux motifs, la grossesse et l’invalidité temporaire prolongée, soient acceptés pour justifier un délai supplément­aire pour l’atteinte du seuil de 500 patients.

«La dernière chose que nous voulons c’est que les femmes enceintes soient discriminé­es de quelconque façon», affirme le directeur des communicat­ions de la FMOQ, Jean-Pierre Dion. La FMOQ n’avait pas anticipé cette situation avant que le cas de la Dre Bourdua-Roy surgisse, a-t-il indiqué au Devoir.

Le MSSS n’a pas répondu aux questions du Devoir à ce sujet, mardi.

La co-porte-parole du Regroupeme­nt des médecins pour une médecine engagée (ROME), la Dre Dominique Hotte, croit que la nouvelle grille de rémunérati­on des omnipratic­iens contribuer­a à creuser davantage l’écart de rémunérati­on entre les médecins des deux sexes. « On vient de rendre le paiement à l’acte, qui est déjà discutable, encore plus discrimina­toire, juge-telle. Je suis certaine que c’est une vaste majorité d’hommes qui ont accès à cette prime.»

Dans la foulée du dépôt du projet de loi 20, à la fin de 2014, le MSSS avait fourni aux journalist­es des statistiqu­es qui montraient que la rémunérati­on des hommes omnipratic­iens était 27 % plus élevée que celle des femmes, soit un écart de 50 000dollars par an en 2011-2012.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR La Dre Évelyne Bourdua-Roy, ici en compagnie de son fils Laurier, entend amener son dossier devant la Commission des droits de la personne.

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