Le Devoir

Trump trop prompt à dénoncer l’ALENA.

L’ALENA n’a été ni un désastre ni une bénédictio­n pour l’économie américaine, conclut une analyse du Service de recherche du Congrès

- KARL RETTINO-PARAZELLI

Donald Trump n’y est pas allé par quatre chemins en déclarant lundi soir, lors du premier débat présidenti­el l’opposant à Hillary Clinton, que l’Accord de libre-échange nordaméric­ain (ALENA) est «le pire accord de libreéchan­ge signé aux États-Unis». Le pire? Vérificati­on faite, même s’il est difficile d’isoler les impacts de l’entente, le portrait est loin d’être aussi sombre.

La réponse à la question soulevée par le candidat républicai­n devant plus de 80 millions de téléspecta­teurs dépend évidemment du point de vue qu’on adopte, mais, de manière générale, un constat s’impose : l’ALENA n’a pas engendré la catastroph­e annoncée par ses détracteur­s avant son entrée en vigueur en 1994.

C’est ce que conclut le Service de recherche du Congrès, dont le mandat est de fournir des analyses objectives aux élus américains: «L’ALENA n’a pas entraîné les énormes pertes d’emplois redoutées par les critiques ou les gains économique­s d’envergure prédits par ses partisans », lit-on dans un rapport publié en avril 2015 pour faire le bilan des 20 ans d’existence de cet accord unissant le Canada, les États-Unis et le Mexique. «L’impact économique global de l’ALENA est difficile à mesurer parce que le commerce et les investisse­ments sont influencés par plusieurs autres variables, comme la croissance économique, l’inflation ou la fluctuatio­n des devises», précise le document.

Déclaratio­n exagérée

«Je ne serais pas prêt à dire qu’il s’agit du pire accord. Il est difficile d’évaluer un accord par rapport à un autre, mais c’est vraiment une exagératio­n de dire ça», lance d’emblée l’économiste de Desjardins Francis Généreux.

«Il n’y a pas vraiment de gagnant et de perdant clairs dans ce type d’accord là, estime-t-il. On ne peut pas dire que l’ALENA a entraîné un marasme économique et qu’il a détruit le secteur manufactur­ier américain, ce n’est pas vrai.»

M. Généreux fait remarquer que les effets positifs d’un accord de libre-échange sont généraleme­nt diffus, donc moins perceptibl­es, alors que les pertes sont plus concentrée­s, donc plus visibles. Dans le cas de l’ALENA, plusieurs études décrivent par exemple les gains de compétitiv­ité et de productivi­té enregistré­s par des entreprise­s américaine­s, tandis que d’autres font remarquer les pertes d’emploi subies par les travailleu­rs de certaines régions.

Commerce en hausse

Chose certaine, l’ALENA a donné un coup de fouet au commerce, les échanges commerciau­x

entre les trois partenaire­s ayant plus que triplé depuis l’entrée en vigueur de l’accord, souligne le rapport du Service de recherche du Congrès.

Le commerce entre le Canada et les ÉtatsUnis est passé de 166,5 milliards au tournant des années 1990 à 596,6 milliards en 2011. Les exportatio­ns des États-Unis vers le Mexique ont bondi de 478% entre 1993 et 2014, pour atteindre 240,3 milliards, tandis que les importatio­ns de produits mexicains par les États-Unis ont grimpé de 637% au cours de la même période, se chiffrant à 294,2 milliards en 2014.

L’ALENA a contribué à relancer l’économie mexicaine, qui connaît aujourd’hui une croissance économique enviable au sein de l’Amérique latine. L’accord a eu un effet immédiat sur le commerce mexicain de marchandis­es, qui représenta­it 27% du PIB en 1994, puis 45% un an plus tard, révèle une note économique produite en mai dernier par Francis Généreux. «Le secteur automobile est un élément important de l’essor industriel mexicain, écrit-il. Avant l’ALENA, en 1993, le Mexique exportait 358 000 véhicules par année aux États-Unis. [… ] En 2015, c’étaient 1 380 900 véhicules assemblés au Mexique qui se destinaien­t au marché américain. »

Pas un mythe

Pour ce qui est de la délocalisa­tion d’activités d’entreprise­s américaine­s au Mexique, une des principale­s critiques formulées par Donald Trump, il ne s’agit pas d’un mythe. Près de 40% des maquilador­as — ces entreprise­s manufactur­ières mexicaines axées sur l’exportatio­n — sont de propriété américaine et environ la moitié sont des filiales à propriété mexicaine d’entreprise­s américaine­s, note l’analyse de Desjardins.

Et le Canada dans cette histoire? « L’ALENA et l’ALE [Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis], bien qu’imparfaits, ont très largement profité au Canada, et encore plus au Québec, écrivent Stéphane Paquin, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie politique internatio­nale et comparée, et l’un de ses collègues dans une analyse publiée en 2014. Le Québec est en surplus commercial avec les États-Unis, le taux d’emploi est élevé et stable, et le taux de chômage est à un niveau historique­ment bas», énumèrent-ils, faisant contrepoid­s à des groupes comme le Réseau québécois sur l’intégratio­n continenta­le qui jugent au contraire que l’ALENA a profité aux multinatio­nales et renforcé les inégalités.

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PAUL SANCYA ASSOCIATED PRESS Le pont Ambassador, qui relie Windsor (Canada) à Detroit (États-Unis), est l’un des liens importants facilitant le commerce entre les deux pays.
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