« En Iran, l’existence d’une femme vaut deux fois moins que celle d’un homme »
La professeure Homa Hoodfar, relâchée cette semaine, pose un regard critique sur son pays d’origine
La professeure montréalaise Homa Hoodfar, emprisonnée et libérée par le régime iranien, n’a jamais eu peur de se montrer critique envers son pays d’origine. Dans un article cosigné en 2012 avec la dissidente Shadi Sadr, elle décrit une société déchirée entre les forces démocratiques et religieuses, où les femmes doivent lutter sans relâche pour défendre leurs droits.
Ce texte, publié dans une revue scientifique française, s’est révélé prémonitoire: Homa Hoodfar évoque la toute-puissance des religieux, qui peuvent opprimer les intellectuels en toute impunité malgré la présence d’un fort courant libéral en Iran. « L’histoire récente de l’Iran montre qu’à défaut de structures démocratiques, un gouvernement religieux tend à glisser vers un fonctionnement dictatorial, usant à la fois de l’appareil d’État et de l’idéologie religieuse pour réprimer la dissidence, en particulier sur les questions de genre fortement contestées », écrivent les auteures. L’article a été publié dans les Cahiers du genre, du Centre national de la recherche scientifique à Paris.
La coauteure, l’avocate et journaliste Shadi Sadr, sait de quoi elle parle: cette militante pour les droits des femmes s’est exilée en Allemagne, puis au Royaume-Uni, en 2009, après avoir été emprisonnée deux fois. Shadi Sadr a été emprisonnée notamment parce qu’elle a participé à une manifestation pour la libération de cinq femmes accusées de « propagande », qui avaient ellesmêmes manifesté pour les droits des femmes. Mme Sadr a aussi lancé la campagne internationale « Arrêtons de tuer et de lapider les femmes ».
L’anthropologue Homa Hoodfar, de l’Université Concordia, a goûté à son tour à la médecine du gouvernement iranien: elle a été assignée à résidence durant trois mois, puis emprisonnée trois autres mois avant d’être libérée cette semaine pour des «raisons humanitaires ». Aux dernières nouvelles, la professeure Hoodfar se remettait de son épreuve dans le sultanat d’Oman, dans la péninsule arabique. La police iranienne n’a jamais révélé les motifs de son arrestation, survenue en mars dernier.
La volonté de Dieu
« Compte tenu des méthodes extrêmement répressives dont use l’élite au pouvoir, les revendications en faveur de la démocratie, de l’égalité des sexes et des droits humains n’ont pu engendrer de changements juridiques », écrivent Homa Hoodfar et Shadi Sadr dans leur article intitulé «Iran: politiques islamiques et femmes en quête d’égalité».
L’essai décrit la longue bataille des femmes depuis que l’islam est devenu la religion officielle du pays, au XVIe siècle. Les religieux se sont toujours opposés aux droits égaux pour tous, réclamés par les partisans du libéralisme et de la démocratie. Les ayatollahs ont un argument imparable: c’est la volonté de Dieu d’accorder moins de droits aux femmes, expliquent les auteures.
Sous le régime laïque et autoritaire Pahlavi (1925-1979), les femmes ont obtenu le droit de vote en 1963. Un décret de 1936 interdisait aussi le port du voile. La révolution islamique de l’ayatollah Khomeini, en 1979, a marqué un recul impressionnant pour les femmes : elles ont perdu le droit de divorcer ou de devenir juge. La polygamie et le «mariage temporaire » ont été encouragés (pour les hommes, bien sûr) et l’adultère des femmes est devenue passible de lapidation ou de coups de fouet.
«C’est ainsi qu’aux yeux de la loi, l’existence d’une femme, aujourd’hui encore, vaut deux fois moins que celle d’un homme: dans un procès, le témoignage d’une femme vaut deux fois moins que celui d’un homme; et en matière d’héritage, les femmes comptent deux fois moins que leurs homologues masculins», écrivent les auteures.
Monnaie d’échange
Malgré ces propos critiques envers le régime iranien, Homa Hoodfar a pu retourner régulièrement dans son pays d’origine au cours des 20 dernières années, selon ses proches. Elle et son mari décédé, Tony Wilson, étaient amoureux du peuple, de la culture et de l’histoire de l’Iran. Au-delà de ses écrits, il est possible que la professeure ait servi de monnaie d’échange sur le plan diplomatique, estime Mohamed Fahmy. Le journaliste canadien d’origine égyptienne a lui-même été libéré, il y a un an, après avoir été détenu en Égypte durant deux ans pour avoir soi-disant publié de «fausses nouvelles». « Je crois que Homa Hoodfar est un pion, un otage politique», at-il déclaré lors d’une conférence à l’Université Concordia, la semaine dernière.
En coulisses, les deux gouvernements tentent un rapprochement après la rupture de leurs relations diplomatiques en 2012. La libération de Homa Hoodfar représente un pas dans la bonne direction, a indiqué le ministre des Affaires mondiales du Canada, Stéphane Dion.
«Un gouvernement religieux tend à glisser vers un fonctionement dictatorial, usant à la fois de l’appareil d’État et de l’idéologie religieuse pour réprimer la dissidence Homa Hoodfar et Shadi Sadr dans les Cahiers du genre