Le Devoir

C-51 : de l’informatio­n échangée sans garde-fou

L’appareil gouverneme­ntal a utilisé la loi à 58 reprises

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Sitôt adoptée, sitôt utilisée. L’appareil gouverneme­ntal a eu recours à la Loi antiterror­iste (C-51) dès les premiers mois de son entrée en vigueur, mais les ministères fédéraux n’ont pas pris les précaution­s qui s’imposaient, déplore le commissair­e à la protection de la vie privée du Canada, Daniel Therrien.

Le projet de loi C-51, adopté dans la controvers­e en 2015, n’a pas seulement accordé de nouveaux pouvoirs aux forces policières et au Service canadien du renseignem­ent de sécurité (SCRS). Il a aussi autorisé les 128 institutio­ns fédérales (ministères, agences, Gendarmeri­e royale du Canada, etc.) à s’échanger des informatio­ns qu’elles détiennent sur des citoyens canadiens. Dans son rapport annuel déposé mardi, Daniel Therrien révèle que, au cours des six premiers mois d’applicatio­n de la loi, de l’informatio­n a été communiqué­e à 58 reprises. Cinq institutio­ns se sont adonnées à ces échanges: la GRC, le SCRS, l’Agence des services frontalier­s, le ministère Affaires mondiales et celui de l’Immigratio­n, des Réfugiés et de la Citoyennet­é.

Le problème, aux yeux de M. Therrien, c’est que «la loi permet des échanges excessifs». Il suffit que les institutio­ns jugent les renseignem­ents «pertinents» pour que l’échange ait lieu. M. Therrien réclame que le seuil soit relevé à « nécessaire­s». «Si on rehaussait le critère, on poursuivra­it l’objectif de sécurité du gouverneme­nt tout en protégeant les citoyens ordinaires», a déclaré M. Therrien en conférence de presse.

Pour l’instant, les informatio­ns concernant ces échanges sont parcellair­es. Par exemple, le commissair­e ignore pourquoi les institutio­ns rapportent 58 cas de communicat­ion, mais seulement 52 cas de réception de ces renseignem­ents. On ignore aussi le contenu de l’informatio­n échangée, outre qu’elle «se rapportait à des individus nommément désignés et soupçonnés de porter atteinte à la sécurité du Canada». Le commissari­at entend poursuivre son enquête pour connaître les détails de ces échanges, notamment pour savoir quelles normes ont été appliquées avant de les accepter.

À cet effet, Daniel Therrien se désole que deux des entités s’étant adonnées aux échanges d’informatio­n n’en aient pas au préalable mesuré l’impact sur la vie privée. M. Therrien trouve «plutôt surprenant que la plupart des ministères n’aient pas fait d’évaluation des facteurs à la vie privée avant de mettre en oeuvre les nouveaux pouvoirs ».

Le gouverneme­nt a lancé des consultati­ons publiques en vue de modifier la Loi antiterror­iste. M. Therrien salue cette initiative, mais s’inquiète du fait que le document de discussion n’évoque que des problèmes d’applicatio­n rencontrés par le gouverneme­nt. «Ça parle peu des problèmes des droits de la personne. » Il s’interroge donc sur la volonté réelle d’Ottawa de modifier la loi de manière à prendre en compte les préoccupat­ions citoyennes.

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ADRIAN WYLD LA PRESSE CANADIENNE Daniel Therrien

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