Le Devoir

Les panneaux réclames, éléments historique­s du paysage urbain

- MARC H. CHOKO Professeur émérite à l’École de design de l’Université du Québec à Montréal

Disons-le tout de suite afin d’éviter tout malentendu: je suis pour la préservati­on du paysage urbain (et des paysages estriens), j’habite au centrevill­e de Montréal et j’ai été appelé à titre de témoin expert par Astral Média, CBS Affichage et Jim Pattison Industries lors du procès contre le règlement de l’arrondisse­ment du Plateau-Mont-Royal.

Si les panneaux réclames peuvent être considérés comme des éléments importuns dans un paysage « naturel », ils sont bel et bien constituti­fs du paysage urbain depuis la fin du XIXe siècle, alors que les grandes villes industriel­les occidental­es se développen­t et que la consommati­on de masse de divers nouveaux produits fait appel à la publicité peinte et imprimée de grand format. Les murs de Montréal, comme ceux de Paris, Londres, New York, etc. se couvrent d’affiches, de grands panneaux et de murales publicitai­res. Montréal va même compter la plus grande structure lumineuse sur toit au monde (54,86 mètres de long sur 26,52 de haut), inaugurée à Montréal le 25 juillet 1930, réalisée par Claude Néon pour la bière Black Horse. Ces panneaux sont implantés le long des axes les plus passants, là où circulent les foules du Vieux-Montréal et du quartier des grands magasins pour les axes piétonnier­s, et le long des voies de tramway qui sillonnent tant le centrevill­e que les nouvelles banlieues.

Ainsi, l’implantati­on des panneaux publicitai­res participe du et au développem­ent de Montréal depuis la fin du XIXe siècle. Ceux-ci font dorénavant partie de la vie urbaine. Les urbanistes de grandes villes comme Boston et New York l’ont bien compris. Boston est reconnue pour l’attrait touristiqu­e de ses quartiers patrimonia­ux habités et vivants. Or, que constate-ton à Boston? En plein coeur des quartiers anciens les plus valorisés, en bordure du Freedom Trail, les panneaux réclames font bel et bien toujours partie du paysage urbain, conservés aujourd’hui dans le milieu où ils existent depuis des décennies, comme à Montréal. Nous pourrions également citer New York, où le High Line Garden a été aménagé sur d’anciennes voies de chemin de fer élevées, dans le vieux quartier des quais et des entrepôts de l’ouest récemment rénové, et où l’on trouve également la présence de panneaux réclames, intégrés comme toujours au paysage urbain.

Ces exemples montrent clairement que panneaux réclames et environnem­ent urbain de qualité ne sont pas incompatib­les. Une négociatio­n de bonne foi entre une municipali­té et les compagnies d’affichage permettrai­t d’éviter leur implantati­on sur des emplacemen­ts indésirabl­es, susceptibl­es de nuire à des percées et à des vues historique­s à préserver. Les multiples signes, dont la publicité, les affiches sur les palissades, les panneaux réclames, comme les enseignes des devantures de magasins, les feux de circulatio­n, la signalisat­ion routière et ses divers panneaux, les plaques de rues, etc., comme les sons propres aux multiples activités en ville, participen­t à l’animation de la vie urbaine et contribuen­t à « colorer la ville». Ils en font partie intégrante.

Une bataille beaucoup plus pertinente pour la préservati­on du paysage urbain serait de réglemente­r les marquises de plastique aux couleurs criardes qui défigurent les façades des immeubles des rues commerçant­es au coeur des secteurs les plus fréquentés du quartier.

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