Le Devoir

L’Élysée se joue (presque) sur le duel Sarkozy-Juppé

- Collaborat­eur Le Devoir JEAN-FRÉDÉRIC LÉGARÉ-TREMBLAY

La primaire est officielle­ment lancée chez les Républicai­ns, formation de droite française ancienneme­nt connue sous le nom de l’UMP. Sept candidats sont dans la course, mais deux jouissent d’une longueur d’avance quasi insurmonta­ble: Alain Juppé et Nicolas Sarkozy. La configurat­ion politique à l’approche de la présidenti­elle en 2017 est telle que celui qui sera élu candidat pour les Républicai­ns fin novembre a de fortes chances d’être le prochain occupant de l’Élysée. Explicatio­ns de Rémi Lefebvre, professeur de science politique à l’Université Lille 2 et professeur invité à l’Université de Montréal.

Président défait en 2012, puis inquiété par la justice dans l’affaire Bygmalion, la carrière politique de Sarkozy semblait terminée. Aujourd’hui, il est pratiqueme­nt à égalité avec Alain Juppé dans les sondages. Comment une telle réhabilita­tion politique a-t-elle été possible?

La position de Nicolas Sarkozy reste fragile, car il est reste fortement discrédité à droite comme à gauche. Les journalist­es le malmènent dans les entrevues comme jamais ils ne l’ont fait. Il est hué lors de ses sorties de terrain. L’antisarkoz­ysme qui a contribué à sa non-réélection en 2012 reste donc puissant.

L’ex-président a fondé son retour sur un pari: prendre la tête de l’UMP, devenue Les Républicai­ns en 2014 pour empêcher la primaire — ce qu’il n’a pas réussi à faire — et ensuite tirer profit de son statut de chef de parti. Mais il n’y a plus de candidat présidenti­el «naturel» à droite, comme ce fut le cas pendant très longtemps.

Les avantages politiques de Nicolas Sarkozy, c’est la base militante de son parti, qui lui reste très fidèle et qui n’est pas forcément représenta­tive de l’électorat de droite dans son ensemble. La question centrale est: quel poids ce socle pèsera-til parmi les participan­ts aux primaires? Il faut rappeler qu’elles sont ouvertes aux sympathisa­nts de droite, ce qui change la donne. Tout va dépendre du nombre de participan­ts.

Juppé et Sarkozy sont des «frères ennemis» aux personnali­tés politiques fort différente­s. Comment interpelle­nt-ils les électeurs et quelles sont leurs chances respective­s?

Les deux favoris ont deux stratégies complèteme­nt opposées, même si beaucoup de points convergent de leur programme. Alain Juppé vise un électorat large — il ne cesse de répéter que « tout le monde

peut voter». Il joue la carte de l’homme d’État intègre et expériment­é qui rassemble dans une période de périls — terroriste, notamment. Il s’adresse à l’électorat modéré tout en étant ferme sur la sécurité et assez radical sur les options libérales qu’il propose. Les électeurs de gauche qui ne veulent pas avoir à choisir entre Sarkozy et Marine Le Pen lors d’un éventuel deuxième tour présidenti­el sont tentés d’aller voter pour lui. Mais Juppé, peu charismati­que et âgé, ne suscite guère l’enthousias­me.

Nicolas Sarkozy clive et cherche à cliver un peu plus encore par ses prises de parole sur l’islam, la sécurité, les racines françaises, les réfugiés… Le contexte politique lui est favorable. Il vise les électeurs de droite décomplexé­s, mais aussi les électeurs du Front national. Il est néanmoins très impopulair­e chez ces électeurs. Vont-ils vraiment se déplacer en 2016 alors qu’ils l’avaient sanctionné fortement en 2012?

À quel point le FN est-il une menace électorale pour les Républicai­ns ?

Le vote Marine Le Pen est très interclass­iste et attrapetou­t. On y trouve des électeurs plutôt de gauche dans les régions postindust­rielles du Nord, par exemple, et des électeurs plus aisés très marqués à droite dans le sud-est, notamment. Beaucoup de commentate­urs pensent que la présidenti­elle se jouera dès le premier tour, puisque la présence de Marine Le Pen au deuxième est quasi assurée.

Le FN est moins une menace pour la droite que pour la gauche, car cette dernière est très divisée. Aucune primaire regroupant toute la gauche n’est réellement possible, puisque Jean-Luc Mélenchon refuse le principe d’appeler à voter pour François Hollande s’il perdait cette primaire. Cette fragmentat­ion de la gauche va sans nul doute lui être fatale; jamais n’a-t-elle été aussi faible à quelques mois d’une présidenti­elle. Elle n’a aucune stratégie collective et elle est défaite sur le plan idéologiqu­e. Hollande sera probableme­nt candidat à sa réélection alors même qu’il est le président le plus impopulair­e de la cinquième République.

Dans ce contexte, est-ce prématuré de prédire que le vainqueur de la primaire des Républicai­ns sera le prochain président de la France?

Il y a de fortes probabilit­és que ce soit le cas, d’où le caractère décisif de cette primaire et de la lutte particuliè­rement âpre que se livrent les candidats. Pour mobiliser les sympathisa­nts, les leaders de droite disent justement dans les rencontres qu’elle désignera le vainqueur de la présidenti­elle.

Quelques incertitud­es planent néanmoins. Si Sarkozy gagne la primaire, le centriste François Bayrou, qui soutient Juppé, a annoncé qu’il serait candidat et il reste populaire. Si Hollande n’est pas candidat — il le décidera en décembre —, il y aura un espace politique pour son ancien ministre de l’Économie Emmanuel Macron, qui vise une candidatur­e au centre. Elle serait porteuse si Sarkozy est désigné comme le candidat de droite, car Macron peut rejoindre un électorat de centre droit et de centre gauche à la fois. Il a toutefois très peu de soutiens et reste isolé.

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