Le Devoir

Des évêques prônent le refus à des funéraille­s religieuse­s

- ISABELLE PARÉ

Une directive des évêques de l’Ouest canadien pressant les prêtres de refuser l’accès aux rites et funéraille­s religieux aux personnes ayant demandé l’aide à mourir soulève la colère des organismes qui protègent les droits des personnes malades. Cette position, qualifiée de «rétrograde» par certains, sème aussi la division chez les évêques canadiens réunis cette semaine en assemblée annuelle.

Le vade-mecum controvers­é des évêques de six diocèses de l’Alberta et des Territoire­s du Nord-Ouest de l’Ouest, émis le 14 septembre dernier, survient alors que la Conférence des évêques catholique­s du Canada (CECC) a fait de l’aide à mourir l’un des thèmes centraux de sa rencontre annuelle qui se déroule cette semaine à Cornwall.

La position radicale des évêques de l’Ouest constitue une réponse à la nouvelle loi fédérale autorisant le recours à l’aide à mourir et au suicide assisté. Même si l’Église s’est toujours clai-

Le problème avec l’aide à mourir, c’est que c’est prémédité Mgr Noël Simard, évêque de Valleyfiel­d

Refuser l’accès aux derniers sacrements, je trouv e ça d’une barbarie sans nom Pierre Blain, président du RCPU

rement prononcée contre toute forme d’aide à mourir, aucune directive n’avait encore été édictée par les autorités religieuse­s sur l’impact de cette nouvelle réalité sur la pastorale et les pratiques religieuse­s.

«Si l’Église refuse d’accorder des funéraille­s à quelqu’un, ce n’est pas en guise de punition mais en guise de reconnaiss­ance de sa décision — une décision qui amène cette personne à poser un geste contraire à la foi chrétienne», tranche le document, transmis cette semaine à tous les évêques canadiens.

Le document souligne qu’il serait « scandaleux » que la cérémonie religieuse donne l’impression de cautionner ce «péché mortel» et «soit interprété comme un encouragem­ent pour d’autres à commettre ce mal ».

Cette orientatio­n divise grandement les évêques du pays, car aucun consensus n’a encore été arrêté sur cette question délicate, assure l’évêque de Valleyfiel­d, Mgr Noël Simard. « Dans mon atelier, dit-il, les avis étaient partagés.»

Dissimuler l’aide à mourir

Selon ce dernier, il n’y a « pas encore de lignes directrice­s sur l’approche à avoir». Mais il est urgent de réfléchir à cette question puisque l’accès à l’aide à mourir au Québec a déjà poussé certains citoyens à dissimuler à des prêtres le fait que leur proche ait requis ce soin de fin de vie, par crainte de se voir refuser des obsèques à l’église.

«J’ai connaissan­ce d’un cas ou le prêtre a eu connaissan­ce après les funéraille­s de personnes qui ont caché la cause réelle du décès. Les gens connaissen­t la position de l’Église à ce sujet», soutient Mgr Noël.

Selon ce dernier, l’Assemblée des évêques catholique­s du Québec (AECQ) devra tôt ou tard se positionne­r elle aussi sur le sujet, car la réalité de l’aide à mourir soulève de nombreuses questions. « Qu’est ce qu’on fait avec les préarrange­ments funéraires? Avec l’extrême-onction, et que faire quand un geste devient public?» soulève Mgr Noël.

À l’image de l’AECQ, qui a jusqu’ici prôné une pastorale « d’accompagne­ment » sans dicter de ligne à suivre en ce qui à trait aux rites de fin de vie, Mgr Noël estime que la décision doit être jugée «au cas par cas». «Avant d’arriver à une norme et de dire non, il faut recevoir, accompagne­r et accueillir. Ces situations sont complexes et la pastorale essaie de comprendre cette nouvelle réalité », a-t-il dit.

Chose certaine, la position adoptée dans l’Ouest canadien trouve des émules, notamment à Ottawa, où l’archevêque Terrence Prendergas­t a déjà affirmé que ceux qui ont demandé l’aide à mourir ne devraient pas recevoir les derniers sacrements ou des funéraille­s religieuse­s. Les évêques de l’Ouest font valoir que l’aide à mourir diffère du cas des personnes ayant commis le suicide — auxquelles l’Église accorde aujourd’hui le droit à des funéraille­s — puisqu’on reconnaît aujourd’hui que ce geste irréparabl­e découle d’une détresse psychologi­que ou d’une maladie mentale. «Le problème avec l’aide à mourir, nuance Mgr Noël, c’est que c’est prémédité.»

Colère chez les patients

Cette attitude jugée « rétrograde » a soulevé mercredi la colère d’organismes oeuvrant pour la protection des droits des personnes malades.

«C’est inacceptab­le, on retourne 50 ans, 100 ans en arrière. Refuser l’accès aux derniers sacrements, je trouve ça d’une barbarie sans nom», s’est offusqué Pierre Blain, président du Regroupeme­nt provincial des comités des usagers (RCPU), un organisme favorable à l’aide à mourir. À son avis, si la position des évêques albertains venait à être adoptée au Québec, ce serait clairement discrimina­toire.

La réaction est tout aussi vive au Comité pour la protection des malades, dont le président, Paul Brunet, se dit croyant, tout comme son frère aujourd’hui décédé, Claude Brunet, qui a fondé l’organisme en 1974. «On a permis aux divorcés de fréquenter l’église, alors je ne vois pas en quoi cette position est inclusive, soulève-t-il. J’aurais beaucoup de difficulté à ce qu’un prêtre ne prenne pas en considérat­ion la demande venant d’une personne qui a requis l’aide à mourir. Qui sont-ils pour juger ? »

Chose certaine, le sujet risque de faire surface au Québec et ailleurs, d’autant plus que les lignes édictées par les assemblées épiscopale­s constituen­t davantage des orientatio­ns que des obligation­s, selon les informatio­ns obtenues de l’Assemblée des évêques québécois. Ni l’AECQ ni la CECC ne peuvent dicter la conduite des évêques, puisque ces assemblées constituen­t davantage des lieux de réflexion sur la liturgie et la justice sociale. Chaque évêque est en effet libre d’adopter sa propre « approche pastorale. »

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