Le Devoir

Les relations Québec-Cuba : un excellent départ

- GÉRARD LATULIPPE Avocat, ancien homme politique et diplomate

Cuba n’est pas la France. Pourtant, le premier ministre Couillard y a été récemment reçu avec les honneurs et le niveau protocolai­re d’une visite officielle à l’Élysée. C’était la première mission officielle d’un chef de gouverneme­nt québécois à Cuba.

On aurait pu difficilem­ent imaginer que le premier ministre d’un État fédéré aurait été invité à participer à une cérémonie en hommage au héros national cubain, José Marti. Les rencontres avec le vice-président du Conseil des ministres, le ministre du Commerce extérieur et de l’Investisse­ment étranger de même que le ministre des Relations extérieure­s démontrent non seulement l’intérêt, mais aussi la symbolique que le gouverneme­nt cubain a voulu conférer à l’événement.

On a beaucoup souligné la rencontre bilatérale entre Philippe Couillard et Raúl Castro. Le président cubain a pris sa décision au dernier moment. Nul hasard.

L’histoire revêt une importance considérab­le dans la culture cubaine et latino-américaine. Les leaders vieillissa­nts de la révolution ne sont pas sans savoir que l’histoire du Québec témoigne d’une longue lutte pour conserver langue et culture et développer un modèle économique solidement ancré dans des valeurs sociales. Il allait de soi que le mouvement coopératif et l’économie sociale suscitent un intérêt en convergenc­e avec les orientatio­ns du gouverneme­nt cubain. La mission québécoise en a fait à juste titre une carte de visite.

Mon expérience de la vie diplomatiq­ue m’a démontré l’importance des relations et liens directs entre les population­s. Je reviens de Trinidad et Tobago, où j’occupais le poste de hautcommis­saire du Canada. La majorité des Trinidadie­ns que j’ai rencontrés connaissai­ent le Canada: soit ils y avaient étudié, soit ils y avaient des liens familiaux ou avaient visité notre pays. Il en est résulté un renforceme­nt important des relations diplomatiq­ues. Or, un million de Canadiens, dont 50% de Québécois, visitent Cuba chaque année. Malgré les obstacles, on connaît tous des Québécois qui ont réussi à tisser des liens personnels avec des Cubains. C’est un facteur qui a aidé à créer un climat de confiance. Voilà pourquoi l’accent mis par la ministre des Relations internatio­nales en matière culturelle et éducative prend toute son importance.

Impression­nante délégation

La délégation commercial­e qui a accompagné le premier ministre était composée de 44 entreprise­s provenant de 12 régions du Québec. Il y avait de quoi impression­ner les autorités cubaines. J’ai occupé le poste de délégué général du Québec durant huit ans et je n’ai jamais eu la chance d’organiser une mission de cette envergure. Le gouverneme­nt cubain a compris que c’est le Québec tout entier qui appuie le développem­ent des relations avec Cuba. La ministre des Relations internatio­nales a fait ses devoirs, car les secteurs couverts par les entreprise­s et institutio­ns faisant partie de la mission constituen­t des priorités pour le développem­ent économique de Cuba.

Par exemple, les énergies fossiles représente­nt actuelleme­nt 96% de l’approvisio­nnement en énergie du pays. C’est un problème gigantesqu­e. Actuelleme­nt, seulement 4 % de la totalité de l’électricit­é produite provient d’énergie renouvelab­le. Le gouverneme­nt s’est d’ailleurs donné un objectif d’atteindre 25 % en énergie renouvelab­le en 2030. Avant l’arrivée de Castro, Cuba devait importer plus de 50% de sa consommati­on domestique de produits alimentair­es. Malgré la remise de 3,7 millions d’acres de terres cultivable­s à de petits fermiers, le pays a besoin d’une augmentati­on massive de sa production agricole. Il manque d’équipement et doit inventer le financemen­t agricole.

Le pays doit aussi se préparer à l’arrivée massive de nouveaux touristes au moment où l’embargo sera levé. Il n’est pas prêt. La constructi­on d’infrastruc­tures appropriée­s s’avère incontourn­able. La mission québécoise comptait des entreprise­s et institutio­ns dans chacun de ces secteurs d’activités.

Raisons politiques

Il ne faut cependant pas négliger les raisons politiques derrière l’importance accordée à la visite du premier ministre. Les réformes apportées par le gouverneme­nt Castro résultant de l’ouverture de relations diplomatiq­ues avec les ÉtatsUnis restent frileuses et insuffisan­tes. Suivant l’organisme Freedom House, Cuba demeure un des pays les moins libres de la planète. L’ONG internatio­nale Human Rights Watch dénonce toujours les violations des droits de la personne. Les Québécois devraient avoir de l’empathie à l’égard du peuple cubain, qui vit toujours une situation difficile. Par ailleurs, ce n’est pas au gouverneme­nt du Québec à soulever la sensible question des droits fondamenta­ux avec les autorités cubaines. La politique extérieure est une compétence exclusive du gouverneme­nt fédéral. C’est son devoir de le soulever au moment opportun.

On a tous noté que le premier ministre québécois aura fait une visite officielle avant le premier ministre fédéral. N’est-ce pas surprenant compte tenu de l’amitié entre le père de ce dernier et Fidel Castro? Étant donné, aussi, que le Canada a toujours maintenu ses relations diplomatiq­ues malgré l’embargo américain. Raúl Castro a probableme­nt voulu passer un message à Justin Trudeau. C’est un appel du pied au gouverneme­nt fédéral pour qu’il organise une mission officielle sans délai.

La mission de Philippe Couillard est un franc succès, mais le défi à venir est grand. À Cuba, il n’existe pas d’entreprise­s privées avec lesquelles faire des affaires. Il existe des entreprise­s d’État groupées dans des congloméra­ts dirigés par les militaires. Il faudra apprendre à faire des affaires autrement et faire preuve de patience. Les risques sont importants.

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