Le Devoir

Plus ça change…

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Le premier avril prochain marquera l’entrée en vigueur de la nouvelle entente fédérale-provincial­e sur le financemen­t du système de santé canadien. Si entente il y a, bien sûr, puisque le gouverneme­nt Trudeau veut revenir sur les acquis des provinces, qui n’entendent pas revenir en arrière.

Cette année, Ottawa consacre 36 milliards aux transferts en santé pour les provinces. Une somme importante, certes, mais qui couvre tout de même moins de 20% des coûts réels, comparativ­ement à 50 % à de la création du programme, dans les années soixante. Parce qu’il est universel et gratuit, le système de santé a toujours été perçu par une majorité de Canadiens comme l’un des symboles forts qui distingue ce pays des États-Unis. Aujourd’hui, c’est moins vrai, à cause des failles qu’aucun gouverneme­nt ne parvient à combler.

Les gouverneme­nts qui se sont succédé à Ottawa depuis vingt-cinq ans ont progressiv­ement réduit leur contributi­on en santé pour des raisons financière­s d’abord, mais aussi parce que plusieurs provinces résistent à la volonté du fédéral de lier sa participat­ion à des réformes. Pour cause puisqu’Ottawa n’y connaît rien en matière de gestion de la santé, un secteur de compétence provincial­e exclusive.

Lors de la dernière campagne électorale, Justin Trudeau s’est engagé à renégocier l’entente sur la santé dont Stephen Harper avait fixé les termes à la baisse de façon unilatéral­e. Pour M. Harper, à partir de 2017 l’augmentati­on annuelle du transfert en santé serait limitée à la croissance du PIB, avec un minimum de 3%, soit la moitié des 6% prévus dans l’entente signée par Paul Martin en 2004. Un vrai scandale qu’un gouverneme­nt libéral allait corriger, de dire Justin Trudeau lors de la campagne.

Or, si l’on se fie aux récentes déclaratio­ns de la ministre fédérale de la Santé, Jane Philpott, les libéraux maintenant au pouvoir ont choisi de suivre la ligne établie par M. Harper et de limiter la hausse à 3%, en y ajoutant trois petits milliards pour respecter l’engagement électoral d’améliorer les soins à domicile. Non pas 3 milliards par année, mais répartis sur trois ou quatre ans sans qu’on sache s’il y aura récurrence.

Ce faisant, la part du fédéral dans le financemen­t des soins diminuerai­t à 18% des coûts d’ici quelques années au lieu de 20% aujourd’hui, soit bien en deçà de la contributi­on initiale de 50 %.

De plus, Mme Philpott entend dissocier le financemen­t du contenu de l’entente lui-même. En clair, non seulement il n’est pas question de rétablir la participat­ion passée du fédéral au programme, mais la ministre-docteure veut renégocier les priorités pour demain. Belle «conversati­on» à venir avec l’autre docteur autour de la table, celui du Québec, que l’on sait peu disposé à se faire dicter la route pour le paradis.

Pour la plupart des provinces, la seule chose qui importe, c’est qu’Ottawa hausse sa contributi­on. Mais pour le Québec, qui avait obtenu une entente «asymétriqu­e» reconnaiss­ant sa pleine autonomie dans l’utilisatio­n des fonds en 2004, la position de Mme Philpott est irrecevabl­e.

Les Canadiens et les Québécois sont insatisfai­ts de leur système de santé. Malgré les milliards ajoutés depuis 2004, les urgences sont toujours engorgées, des centaines de milliers de citoyens n’ont toujours pas de médecin de famille et les autres doivent attendre des semaines avant d’obtenir un simple rendezvous. Or, au même moment, on apprend que ce sont les médecins déjà très bien payés qui profitent le plus des milliards supplément­aires injectés.

En dépit des promesses électorale­s répétées, le réseau canadien de santé n’a pas cessé de se dégrader depuis vingt ans, au point d’être devenu l’un des pires du monde occidental pour ce qui est de l’accessibil­ité.

Devant un tel constat d’échec, on comprend que le gouverneme­nt Trudeau veuille profiter de sa popularité pour imposer sa vision du changement malgré le peu de compétence­s en la matière. Mais on comprend surtout les simples citoyens de ne pas lever le petit doigt pour se porter à la défense de ces mêmes politicien­s, ceux des provinces et du fédéral, dans la guerre qu’ils entreprenn­ent ces jours-ci.

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JEAN-ROBERT SANSFAÇON

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