Péril protectionniste
Christine Lagarde est revenue mercredi à cette invitation déjà faite aux gouvernants à entendre ces populations exprimant leur frustration d’avoir été les laissés-pourcompte d’une libéralisation du commerce ayant contribué à l’aggravation des inégalités. Les derniers chiffres sont effectivement probants.
L’Organisation mondiale du commerce venait d’abaisser à 1,7% ses perspectives de croissance mondiale des échanges commerciaux, contre une prévision de 2,8% avancée en avril. La croissance des échanges sera inférieure à celle de l’économie mondiale cette année, une première depuis 15 ans. Peu avant, l’OCDE s’inquiétait d’une croissance mondiale ramenée sous la barre des 3% cette année pour n’effectuer probablement qu’un léger rebond l’an prochain, de 2,9 à 3,2%, un rythme «bien en deçà des normes historiques».
Ces institutions tapent à l’unisson sur le même clou en ayant, face à elles, des dirigeants politiques rattrapés par une société civile ne se retrouvant plus dans cette mondialisation. Aux États-Unis, certes, mais aussi en France et en Allemagne. Christine Lagarde a repris le mantra. «Nous continuons à être confrontés à une croissance mondiale trop faible depuis longtemps et qui profite à trop peu de personnes […] Si nous voulons maintenir la mondialisation en vie pour la prochaine génération, il n’y a pas d’autres choix que de s’assurer qu’elle bénéficie à tous.»
Les forces sous-jacentes sont puissantes. L’analyste géopolitique Angelo Katsoras, de la Financière Banque Nationale, a rappelé que la crise financière de 2008 a brisé l’élan. «Ce n’est pas la première fois que le commerce mondial de marchandises cale ou chute, mais cela marque sa plus longue période de stagnation d’après-guerre ».
Avant de déchirer…
Montée du protectionnisme et changements structurels, avec une population vieillissante et une Chine se repliant sur elle-même, s’inscrivent donc au menu. Le tout est malheureusement déformé par une rhétorique politique récupérant la montée du populisme à des fins électoralistes avec, pour thème, le déchirement des grands accords commerciaux.
Une étude publiée mercredi par Marchés des capitaux CIBC apporte pourtant un petit éclairage. Elle indique que le volume des exportations du secteur manufacturier canadien a grimpé de 12% depuis 2012, sous l’effet du taux de change, mais cette hausse ne s’est pas encore répercutée sur la croissance du PIB et de l’emploi. «Ce comportement inhabituel donne à penser que, malgré l’amélioration relative des coûts de la main-d’oeuvre découlant de l’affaiblissement de la monnaie, les sous-secteurs à prédominance de main-d’oeuvre ne peuvent pas être le principal moteur de la croissance du secteur manufacturier à court terme, explique l’économiste Benjamin Tal. Les sous-secteurs à forte intensité de capital doivent s’y mettre aussi. »
Or les fabricants à forte intensité de capital au Canada affichent un net retard de rendement sur leurs homologues aux États-Unis, où la production surpasse maintenant de 12% les niveaux d’avant la récession, ajoute la CIBC. Aussi, n’en déplaise à Donald Trump ou à Hillary Clinton rattrapée par sa gauche, la productivité de la main-d’oeuvre a augmenté en moyenne de 2,6% par année depuis 2006, «ce qui correspond à plus de deux fois les gains de productivité des fabricants canadiens». Avant de
tout déchirer…
Les spécialistes de la mondialisation l’ont déjà reconnu, et les nouveaux accords de partenariat poussent en ce sens: une libéralisation internationale des échanges doit être accompagnée d’une redistribution à l’échelle nationale. «Cela peut aider à convaincre que c’est l’ouverture qui donnera de quoi redistribuer. Les gouvernements ont une responsabilité envers les groupes perdants», a souligné Krzysztof J. Pelc, professeur associé au Département de sciences politiques à l’Université McGill, au magazine
Forces.
Des investissements publics en éducation, une hausse du salaire minimum et un programme d’aide aux travailleurs touchés par la délocalisation, la sous-traitance et l’émergence de nouvelles technologies devraient faire partie des interventions ciblées, a aussi suggéré Christine Lagarde.