Cinéma Léa Pool dirige Sophie Nélisse et retrouve Karine Vanasse
Léa Pool dirige Sophie Nélisse et retrouve Karine Vanasse dans Et au pire, on se mariera
En débarquant sur le plateau du nouveau film de Léa Pool, on se demande si un journaliste des faits divers n’aurait pas été un choix plus avisé. Dans le stationnement d’un immeuble anonyme, une ambulance est garée, gyrophares allumés. Deux voitures et quatre policiers sont sur place. On vient d’arrêter un homme dont les mains sont tachées de sang. «Il a rien fait! C’est moi qui l’a tué!» hurle une adolescente en faisant irruption sur la scène de crime. « Coupez ! » lance la réalisatrice. Et la réalité de reprendre le pas sur le simulacre cinématographique, une adaptation du roman de Sophie Bienvenu Et au pire, on se mariera, en l’occurrence.
Fait intéressant, une protagoniste qui transforme la réalité, Aïcha, se trouve justement au coeur du récit. Lequel est raconté du point de vue de la jeune fille de 14 ans qui, à l’issue de la séquence décrite à l’instant et qui survient au tout débout du film, revient sur les événements qui ont mené au drame. Or, Aïcha ment tant et si bien que la travailleuse sociale qui l’interroge, placée hors champ à l’instar du spectateur, peine à démêler le vrai du faux.
«C’est un peu le principe de Rashomon, acquiesce Léa Pool lorsqu’on lui en fait la remarque. À la différence que les versions contradictoires émanent toutes d’Aïcha. On revoit certaines scènes, mais à une jonction précise, ça ne se déroule plus de la même manière. Aïcha déclare par exemple être entrée dans tel appartement vide, puis on revisite cet épisode et, cette fois, elle avoue — ou invente — qu’il y avait en fait quelqu’un. C’est non linéaire sur le plan de la narration. Après La passion d’Augustine, que j’ai adoré tourner mais qui reposait sur une structure plus classique, j’avais envie d’un projet me permettant davantage de latitude narrative.»
Interprétation et perception
Bref, un mystère plane tout du long. Ce que l’on sait, c’est qu’Aïcha en veut à sa mère d’avoir mis son beau-père à la porte, qu’elle s’est amourachée d’un certain Baz, 28 ans, et que, selon toute vraisemblance, quelque chose a très, très mal tourné.
Amours douloureuses, jeunesse en crise: Et au pire, on se mariera, c’était du cousu main pour la réalisatrice d’Anne Trister, de Rebelles et de Maman est chez le coiffeur, pour ne nommer que ceux-là.
Sophie Nélisse incarne Aïcha, Karine Vanasse, sa mère, et Jean-Simon Leduc, Baz, l’homme aux mains rouges.
«Je n’ai jamais autant relu un scénario juste avant de tourner, admet ce dernier. Je devais jouer la vérité d’une scène tout en gardant à l’esprit qu’Aïcha fabulait à ce moment précis. Mon personnage est un gars altruiste, qui est dans l’empathie, mais il ne ressort pas toujours comme ça parce qu’Aïcha ne le dépeint pas toujours comme ça.»
Aïcha qui constitue une partition en or pour Sophie Nélisse.
«Son arc dramatique est fort, estime-t-elle. Elle possède une innocence tout en étant très mélangée dans sa tête. Elle ne veut faire de mal à personne, mais elle est complètement folle. J’aime la manière dont c’est tourné, avec les retours en interrogatoire: là, c’est du jeu pur. Il y a moi face à la caméra. Ça laisse plein de possibilités. C’est vraiment stimulant.»
Les retrouvailles
Le roman de Sophie Bienvenu, qui a coécrit le scénario avec la cinéaste, reposant sur un monologue, de nombreux ajustements ont été apportés.
«Ce qui me frappe, c’est à quel point elles ont réussi à préserver la voix d’Aïcha», note à cet égard Karine Vanasse, qui confie vivre là une étape importante dans sa carrière lancée, on s’en souviendra, par le film Emporte-moi, également de Léa Pool.
«J’ai manifesté mon intérêt à Léa, d’abord parce que je tenais à retravailler avec elle, et ensuite parce que je me sentais mûre pour des rôles de mère. En jouant la mère de Sophie Nélisse, je me revoyais jouer la fille de Pascale Bussières qui se revoyait alors adolescente dans Sonatine… C’était très émouvant de retrouver Léa. J’ai pris conscience que j’ai toujours comparé la façon de faire des autres réalisateurs avec la sienne. Si je n’avais pas débuté dans le métier avec elle, ma carrière aurait été très différente. En la regardant diriger Sophie le premier jour, j’ai retrouvé cette façon de faire, cette façon de dire… Je suis devenue très émue», conclut Karine Vanasse.
En voyant ses grands yeux noisette s’illuminer, on ne doute pas un seul instant que, contrairement à une bonne partie de l’intrigue, ça, c’est vrai. Et au pire, on se mariera sortira en 2017.