Le Devoir

Espoir bridé

- NICHT SCHLAFEN Des Ballets C de la B. Mise en scène d’Alain Platel. À la Maison de la danse de Lyon.

C’est une oeuvre complexe, volontaire­ment lourde et de peu d’espoir que signe là Alain Platel, sur l’oeuvre et l’époque de Mahler. Sur le plateau, trois émouvantes carcasses de chevaux ; en fond de scène, une grande toile effilochée. Les neuf danseurs — très jeunes, très en forme, et on ose demander si une plus grande diversité des corps n’aurait pas servi davantage le propos — sont le matériau principal, avec la musique et plusieurs pièces de vêtements, des tableaux composites, longs, qui s’enchaînero­nt. On assistera à une énergique foire d’empoigne; à des pertes d’espoir et de repères ; à des transition­s aussi installées que si elles étaient des actes en soi ; à des choeurs vivants. La gestuelle reste teintée des codes du ballet, mais est surtout très incarnée par chacun des danseurs. Les postures christique­s sont récurrente­s. Les gestes chevalins prendront de plus en plus de place. On voit des hommes-oiseaux, un poignardag­e tragique, et plusieurs bals de damnés. Tout est lourd, et pèse, et le temps prend son temps pour passer sur chaque acte. Il y a là des finesses rares. Comme cette seule femme dans un champ de huit hommes, sans que jamais elle ne devienne mère, pute, violée, sacrifiée ou plus nue qu’eux. Intégrée, avec sa féminité, à ce boy’s club. La longueur de la pièce finit par bien peser, comme la lourdeur de l’ambiance. On reste extérieur à cette peinture des limbes, malgré le bris à la toute fin du quatrième mur et la courte montée en salle des danseurs. Comme si, devant une toile de maître, on nous obligeait à rester sans cligner des yeux plus longtemps que ce que notre coeur demande. Ce qui n’empêche pas, on l’aura compris, des beautés.

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