Le Devoir

Courir pour sauver sa vie

- CAROLINE MONTPETIT

Julius Arile courait pour sauver sa vie avant de devenir marathonie­n. Ayant reçu un fusil à 13 ans pour devenir un guerrier voleur de vaches, dans le nord du Kenya, il a remis cette arme dans le cadre d’un programme de course pour la paix, organisé par Oxfam il y a une dizaine d’années.

Depuis, Arile est arrivé quatrième au marathon de New York. Demain, il s’entraînera avec le grand public sur le mont Royal, avant de participer au marathon de Toronto.

Julius Arile et Robert Matanda sont les deux héros du documentai­re Arile et Matanda, d’Anjali Nayar. La réalisatri­ce montréalai­se, qui vit depuis dix ans au Kenya, a suivi le parcours des deux hommes après qu’ils eurent accepté de déposer les armes qui leur permettaie­nt de voler des vaches. À l’époque, elle ne savait pas comment cette aventure allait finir.

«Comme documentar­iste, il arrive que l’on prenne des risques, raconte la jeune cinéaste. On poursuit un projet en croisant les doigts. »

Choix facile

Pour Arile, qui a aujourd’hui trente ans, le choix de rendre ou non son arme ne s’est pas posé longtemps. «Quand tu voles des vaches, tu cours 50 % de risques de mourir. Il se peut aussi que tu ne ramènes pas de vache. Quand tu cours, même si tu perds, au moins tu es vivant, tu es en santé, après», dit-il en entrevue. Mais ce n’est qu’il y a peu de temps que les armes ont fait leur entrée dans ces communauté­s du nord du Kenya. Le trafic d’armes est encouragé par les guerres qui se poursuiven­t tout autour du pays. L’arme d’Arile venait pour sa part de l’Ouganda.

Moins passionné de course qu’Arile, son ami Matanda choisit pour sa part de rester au Kenya, avec sa famille, et de cultiver le maïs pour faire vivre celle-ci.

En entrevue, Anjali Nayar raconte que ces Kenyans font partie d’un peuple nomade, qui n’avait pas l’habitude de pratiquer l’agricultur­e. «La région a énormément changé depuis dix ans», constate-telle. Robert Matanda tente également, à un moment donné du documentai­re, de faire de la politique. Il y perd d’ailleurs l’argent du maïs qui était destiné à payer les droits de scolarité de sa famille. En politique, dit-il franchemen­t devant la caméra, il faut voler des votes, et il faut payer des gens pour faire ça. Matanda finit par perdre ses élections et doit planter du maïs de nouveau pour garder ses enfants inscrits dans une bonne école.

Dans cette région qui a vu naître plusieurs des meilleurs coureurs au monde, la vie n’est pas facile, et il faut rivaliser d’audace pour faire vivre ses proches. Durant les premières années d’entraîneme­nt de Julius Arile, les membres de sa famille lui reprochaie­nt de ne pas gagner d’argent pour les faire vivre.

Finalement, le fait de s’être classé 4e au marathon de New York permet à Arile de gagner 25 000$. Avec cet argent, il achètera une nouvelle ferme et 20 vaches pour sa famille. Il faut dire qu’à 30 ans, Arile a sept enfants et trois femmes au Kenya.

Triste sort

Robert Matanda a connu un sort plus sombre. Alors que le film venait tout juste d’être terminé, lui et sa femme ont péri dans un accident de voiture. Ils laissent dans le deuil sept enfants, dont la plus jeune, un bébé, porte le nom d’Anjali.

La réalisatri­ce Anjali Nayar, avec d’autres personnes oeuvrant dans le monde du cinéma, a mis sur pied une fondation pour s’assurer que ces enfants continuent d’aller à l’école. Julius Arile a invité le public à venir courir avec lui ce jeudi à 10 heures, au départ de la statue de sir George-Étienne Cartier, sur le mont Royal.

Arile et Matanda est une production de l’Office national du film. Le film sera à l’affiche à partir du 30 septembre, à Montréal et à Québec.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Julius Arile et la réalisatri­ce Anjali Nayar

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