Les plus vulnérables ont payé le prix de l’austérité
La bureaucratie a moins souffert que les personnes vulnérables des compressions dans les services publics, a soutenu la protectrice du citoyen, Raymonde Saint-Germain, qui publiait jeudi un volumineux et dernier rapport annuel après dix ans à la tête de l’institution.
Un bilan dont les conclusions ont été balayées du revers de la main par le premier ministre Philippe Couillard. Il s’est dit en « désaccord» avec les constats de la protectrice.
« Les discours sur les personnes vulnérables, les discours sur la solidarité, avec des finances publiques déséquilibrées et un endettement chronique, ce n’est que du vent, ça ne veut rien dire pour la population», a déclaré le premier ministre lors d’une mêlée de presse en marge du congrès annuel de la Fédération québécoise des municipalités, où il prononçait un discours.
«Ce qui menace le plus les services publics, y compris pour les personnes vulnérables, ce sont les déficits constants et l’endettement qui enlèvent toute capacité d’agir au gouvernement», a maintenu Philippe Couillard. Il a rappelé que des investissements en santé seraient annoncés « prochainement», alors qu’en éducation, le réinvestissement est amorcé.
Un signal d’alarme
Après avoir agi comme ombudsman pendant une décennie, Mme Saint-Germain quittera ses fonctions au terme de son mandat, mais non sans avoir «sonné l’alarme». «Il faut un changement de cap, a-t-elle réclamé, il faut regarder l’impact des décisions administratives sur les services.»
Oui, «l’austérité a fait mal», a-t-elle répondu aux journalistes en conférence de presse. «Je ne conteste pas la nécessité d’avoir redressé les finances publiques, mais certains choix ont été faits au détriment [des plus vulnérables] », a-t-elle déploré.
Ce sont les plus vulnérables qui sont privés de services et qui en souffrent, constate l’ombudsman. «La performance de gestion a de plus en plus préséance sur la performance de service», constate la protectrice. Cela se traduit par de « longs délais et de nombreux reports qui dans plusieurs cas constituent un déni de service».
Elle ne jette pas la pierre aux fonctionnaires, mais bien au gouvernement. «Les agents des services publics travaillent au fil des ans avec les compressions qui se cumulent. Ils n’ont pas le contrôle sur une situation qui leur est imposée.»
Santé et services sociaux
Ses constats ratissent large: Revenu Québec, réseau de l’éducation, immigration, justice… Mais c’est dans le réseau de la santé et des services sociaux qu’il est le plus urgent d’agir, a expliqué Raymonde Saint-Germain au Devoir. « Et ce, en raison des conséquences humaines à attendre une chirurgie, des soins en santé mentale et des soins à domicile pour les personnes âgées », explique-t-elle.
La réforme administrative du réseau menée par Gaétan Barrette, qui a mené à des fusions massives d’établissements de santé et de services sociaux, a eu pour effet, dans certains cas, de « niveler par le bas » les services offerts, selon la protectrice. «Nous constatons que, dans les regroupements d’établissements, en raison des ressources limitées et des besoins croissants, on a eu tendance à retenir l’offre la moins généreuse.»
Par exemple, cela a pu se traduire par moins d’heures de services à domicile pour des personnes âgées. « Le résultat concret, c’est moins de services en temps opportun», dit la protectrice. Elle affirme toutefois qu’il est trop tôt pour faire l’appréciation globale de cette réforme. Mais, de manière globale, «les budgets n’augmentent pas à la hauteur réelle de la demande, qui est en croissance ».
Et, dans la foulée, il est aussi devenu plus difficile de s’en plaindre, selon elle. Elle a reçu, en 2015-2016, 1,9% moins de plaintes en matière de santé et de services sociaux que l’année précédente. Le nombre de signalements est passé de 258 à 160. Mais les pourcentages de plaintes et de signalements fondés sont à la hausse de 3 et 9,1 points de pourcentage respectivement.
«Je pense qu’il y a eu un manque d’accessibilité au régime de plainte pendant la période de transition et que des citoyens ont été privés de leurs droits, a expliqué Mme SaintGermain. Il y a une lourdeur. »
La faute au fédéral?
Le ministre québécois de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, a renvoyé la balle au fédéral, accusant les transferts fédéraux dont les montants seront réduits à compter de 2017. « Les commentaires de la protectrice, je les comprends et je les reçois favorablement, a-t-il déclaré aux journalistes. Mais la réponse n’est pas chez moi, elle est à Ottawa. L’enjeu en est un de financement.»
Raymonde Saint-Germain a décliné l’offre d’accomplir un
3e mandat de cinq ans et quittera donc son poste dès qu’un successeur lui aura été désigné. Elle croit profondément au rôle du Protecteur. Pour elle, «la présence d’un chien de garde, qui peut dire publiquement des choses que même les hauts fonctionnaires ne peuvent dire est éclairante pour l’Assemblée nationale ».
Elle a par ailleurs souligné quelques dossiers où elle constate des améliorations, par exemple un plan d’action chez Revenu Québec qui améliore ses méthodes ou des délais abrégés du côté de la Société d’assurance automobile du Québec pour l’adaptation de domicile chez les accidentés graves de la route.
Réactions
Syndicats et partis de l’opposition n’ont pas tardé à s’approprier les constats de la protectrice. La Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ) estime que ce rapport confirme le « saccage » du réseau public de santé par « la réforme Barrette et l’austérité libérale ». « Le gouvernement Couillard a détourné l’État de sa raison d’être réelle, c’est-à-dire le citoyen, pour plutôt en faire un appareil bureaucratique en quête de performance de gestion», a déploré la présidente de la Centrale des syndicats du Québec, Louise Chabot.
« L’équilibre budgétaire a été atteint sur le dos des patients et grâce à une réduction des services », a dénoncé la députée du Parti Québécois Diane Lamarre. Le PQ réclame un réinvestissement dans le réseau de la santé et des services sociaux.
La Coalition avenir Québec a réclamé du gouvernement qu’il donne suite « immédiatement » aux «constats accablants» du Protecteur du citoyen.