Le Devoir

Dialogue de sourds entre ministres de la Santé

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Le fossé ne peut pas être plus béant entre Ottawa et Québec. Alors que la ministre fédérale de la Santé clame que les problèmes du système ne seront pas réglés seulement en «ouvrant le portefeuil­le fédéral », son homologue québécois s’entête à dire que toute négociatio­n doit débuter par une augmentati­on du financemen­t d’Ottawa. Et ce, même si les provinces plafonnent leurs propres contributi­ons.

Jane Philpott et Gaétan Barrette ont tous deux pris la parole jeudi au Sommet sur la santé Canada 2020 à Ottawa. Si Mme Philpott a tendu une branche d’olivier à M. Barrette, celui-ci a répliqué par une présentati­on didactique, à la limite de la condescend­ance, sur ce qu’impliquait son travail.

« Pour ceux qui lisent les journaux et s’attendent à de la chicane, vous serez déçus ,a lancé d’entrée de jeu la ministre fédérale. Nous n’avons pas d’affaire à dire au Québec, ou à toute autre province ou territoire, comment ils devraient fournir les services de santé. Mais on peut parler de ce que les Canadiens veulent. »

Selon elle, le système de santé canadien est morcelé et inefficace et il est faux de croire «que les problèmes majeurs du système pourront être réglés seulement en y jetant plus d’argent». «Le Canada est parmi les pays consacrant le plus d’argent aux soins de santé au monde et pourtant, il n’obtient pas les résultats auxquels les citoyens s’attendent.»

« Baisser actuelleme­nt les transferts à 3 %, c’est un mauvais timing Gaétan Barrette

Elle aimerait voir des améliorati­ons, notamment, en soins à domicile.

La réponse de M. Barrette ne pouvait pas être plus claire. Après avoir annoncé à l’auditoire qu’il allait leur montrer ce que c’est que d’être dans ses souliers, il a illustré avec une présentati­on PowerPoint comment, même en gelant les dépenses, le budget de la santé augmente chaque année de 1%. Conclusion: Ottawa est irréaliste s’il croit pouvoir élargir les services offerts avec la maigre augmentati­on du financemen­t proposé. « Les discussion­s qu’il y a actuelleme­nt sur un nouvel accord en santé sont un peu mal parties. […] On doit d’abord financer les services déjà offerts avant de se lancer dans de nouveaux programmes. »

Refiler la facture à Ottawa?

Le gouverneme­nt libéral s’engage à hausser ses transferts aux provinces de 3% par année à partir de 2017. Il promet en plus d’injecter 3 milliards de dollars sur quatre ans pour les soins à domicile. Les provinces réclament plutôt que les transferts continuent à croître de 6% comme c’est le cas depuis 2004.

Pourtant, les provinces n’augmentent pas leurs dépenses d’autant. Les données compilées par l’Institut canadien d’informatio­n en santé (un organisme non partisan financé par Ottawa et les provinces) montrent que le taux de croissance annuel des dépenses provincial­es en santé plafonne depuis 2011. S’il a régulièrem­ent atteint 7 % de 2000 à 2010, il n’a jamais dépassé les 3,8 % depuis. (Voir tableau) Pourquoi Ottawa devrait-il, lui, maintenir le rythme? Pour faire du rattrapage, selon M. Barrette.

Ottawa n’éponge que 21% des coûts totaux du système. L’objectif est qu’il atteigne 25% d’ici 10 ans. «Pour faire cela, [….] il faut maintenir le taux de croissance des transferts à 6%. Baisser actuelleme­nt les transferts à 3%, c’est un mauvais timing », a-t-il dit alors qu’à l’écran s’affichait la phrase «BAD TIMING TOTAL».

N’est-il pas ironique que son gouverneme­nt, qui a atteint l’équilibre budgétaire, s’astreigne à un taux de croissance moindre que celui exigé d’Ottawa, dont le déficit anticipé cette année est de 29 milliards ? « C’est votre opinion que le gouverneme­nt fédéral est en déficit par-dessus la tête. Le gouverneme­nt fédéral, proportion­nellement à sa situation budgétaire, a un déficit qui est beaucoup moins important que le nôtre. » Vérificati­on faite, le déficit de Québec n’a jamais dépassé les 4% de son budget depuis 2009. À Ottawa, il sera de 9 %.

 ?? SEAN KILPATRICK LA PRESSE CANADIENNE ?? La ministre Jane Philpott en Chambre jeudi. Selon elle, le système de santé canadien est morcelé et inefficace et la seule injection de fonds supplément­aires ne règlera pas ses problèmes.
SEAN KILPATRICK LA PRESSE CANADIENNE La ministre Jane Philpott en Chambre jeudi. Selon elle, le système de santé canadien est morcelé et inefficace et la seule injection de fonds supplément­aires ne règlera pas ses problèmes.

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