Le Québec dans le monde
On ne s’attend pas d’un chef du PLQ ou de la CAQ qu’il ait une envergure internationale. Quand on veut gérer une province, et à plus forte raison une province comme les autres, il sera toujours suffisant d’avoir de bons contacts à Ottawa. Pour le reste, un premier ministre de province aura surtout à diriger des missions économiques. Certes, il devra savoir tenir son rang au sommet de Davos, par exemple, mais ce sera toujours dans l’ombre du Canada. Le plus habile dans ce registre fut probablement Jean Charest. Dès qu’il mettait le pied à l’étranger, on sentait chez lui le désir irrépressible de revêtir l’habit du premier ministre du Canada. Mais l’homme savait contenir ses instincts et demeurer dans les clous.
Il en va autrement du Parti québécois. Si l’on veut fonder un pays, c’est probablement que l’on est convaincu d’avoir quelque chose d’unique à offrir au monde. Dès lors, on ne saurait s’embarrasser de l’ombre d’une autre nation. On s’attend donc des dirigeants du PQ qu’ils aient l’étoffe de chefs d’État, qu’ils soient capables de tenir leur rang non pas dans une conférence féréral-provincial, mais aux Nations unies, au Congrès américain ou à l’Assemblée nationale française. Avouons que le PQ a été plutôt bien servi en la matière avec des chefs comme René Lévesque, Jacques Parizeau, Lucien Bouchard et Bernard Landry.
Or, ce n’est probablement pas un hasard si les deux principaux candidats à la chefferie du PQ ont justement une expérience à l’étranger. Tous deux ont creusé, bien que de manière différente, ce sillon si peu fréquenté par le monde politique québécois. Tous deux ont fait des études à l’étranger, entretenu des contacts officiels hors du Québec et même dirigé des visites de premiers ministres.
Il y a quelques années, l’ancienne ministre des Relations internationales Louise Beaudoin avait voulu faire d’Alexandre Cloutier son dauphin. Le temps et ses affinités, qui le portaient vers le Royaume-Uni plus que vers la France, en ont décidé autrement. S’il fallait faire le portrait du député de Lac-Saint-Jean qui débarquait à Paris à cette époque, il faudrait le décrire comme un jeune homme pressé, qui avait probablement déjà d’autres ambitions. Je me souviens de l’avoir croisé au siège du Parti socialiste, rue de Solférino, lors du premier tour de la dernière élection présidentielle française. Il m’avait alors expliqué qu’il raterait le second tour, car il avait des choses plus urgentes à faire au Québec.
Même s’il n’était pas ministre des Relations internationales, c’est Alexandre Cloutier qui avait pris en charge la visite de la première ministre Pauline Marois en Écosse en janvier 2013. Depuis qu’il a été étudiant à Cambridge, Alexandre Cloutier a en effet cultivé des liens avec les indépendantistes écossais. Il a notamment assisté au congrès du Scottish National Party en 2009.
Cette visite à Édimbourg, qu’on annonçait «historique», fut pourtant un échec humiliant pour Pauline Marois. Le chef du SNP, Alex Salmond, refusa d’apparaître publiquement avec la première ministre qui n’eut droit qu’à un entretien à huis clos et à une petite photo. C’est ce qu’en termes diplomatiques on appelle un «four». Jamais Pauline Marois n’aurait dû mettre le pied en terre écossaise sans avoir obtenu des garanties fermes. Un vrai travail d’amateur.
On connaît le penchant naturel de Jean-François Lisée pour l’international, lui qui fut correspondant à Paris et à Washington. Dans ces deux villes, l’auteur de Dans l’oeil de l’aigle (Boréal) entretient toujours des contacts nourris avec les milieux politiques et intellectuels. Sur ce plan, Jean-François Lisée se situe dans la droite ligne de René Lévesque, qui avait parcouru le monde avant de devenir premier ministre.
Cela s’est d’ailleurs concrétisé par le succès de la visite que fit Pauline Marois à Paris en octobre 2012. Il s’agissait pourtant d’un véritable défi. Non seulement Pauline Marois n’avait-elle aucune expérience internationale, mais il fallait inciter la France, sans rien brusquer, à revenir sur la position prise par Nicolas Sarkozy qui avait mis aux poubelles la célèbre formule d’Alain Peyrefitte: «non-ingérence et non-indifférence». La presse québécoise était d’ailleurs convaincue qu’elle n’y arriverait jamais.
On a souvent reproché son autoritarisme à Jean-François Lisée. En 2012 à Paris, sans cet encadrement rigoureux et ferme assuré par lui et le délégué général Michel Robitaille, la première ministre se serait enfargée dans le premier obstacle venu. Exactement comme elle le fit l’année suivante en Écosse. Je me souviens d’une conférence de presse surréaliste où, après trois jours de marathon, Pauline Marois répétait mot pour mot les réponses que lui soufflaient ses deux acolytes qui lui auront sauvé la mise.
À l’heure de la mondialisation, ce n’est pas un luxe pour le chef d’un parti indépendantiste que d’être à la fine pointe des débats qui déchirent l’Europe et les États-Unis. Pour le reste, on constatera qu’il ne suffit pas de se gargariser de discours sur l’«ouverture à l’autre» pour réussir dans l’ombrageux monde des relations internationales.