Le contrat
Les chiffres sont implacables. Les immigrants qui s’installent au Québec font face à plus d’obstacles qu’ailleurs au Canada pour trouver un emploi à la hauteur de leurs compétences. Ils sont pourtant sélectionnés sur la base de leur éducation et de leur expertise. Malgré ce décalage entre le rêve et la réalité, le gouvernement québécois souhaite accueillir davantage d’immigrants au cours des prochaines années. Saura-t-il s’attaquer aux racines de ce problème avant d’aller de l’avant?
En mars dernier, le gouvernement québécois annonçait son Plan d’immigration pour l’année 2016. La ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Kathleen Weil, y mettait «l’accent sur une immigration jeune, qualifiée, connaissant le français» et réitérait son objectif «de favoriser une intégration socioprofessionnelle rapide ». On ne peut que s’en féliciter, car selon une étude publiée cette semaine par l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), les immigrants sont de plus en plus éduqués. En 2012, 64,5% des immigrants arrivés depuis cinq ans ou moins étaient titulaires d’un diplôme universitaire. Et entre 2004 et 2013, 60,4 % des «personnes admises au Québec» parlaient le français ou le français et l’anglais.
Malgré cela, l’écart entre le taux d’emploi des immigrants et celui des natifs du Québec reste important, en plus d’être plus accentué qu’ailleurs au Canada. Selon les données de Statistique Canada pour l’année 2015, le taux d’emploi pour les personnes de 25 à 54 ans était, pour les immigrants reçus vivant au Québec, de 72,8% et de 84,5% pour la population née au pays, un écart de 11,7 points. En Ontario, l’écart était de 5,9 points. En Colombie-Britannique, de 5 points. La situation n’est pas reluisante quand on examine la situation des immigrants reçus depuis 5 ans ou moins. Au Québec, l’écart est de 25,8 points alors qu’il est de 20,3 points en Ontario et de 17,2 points en C.-B.
Ces chiffres occultent un autre problème: le type d’emploi occupé. Une proportion beaucoup plus grande d’immigrants sont surqualifiés pour leur emploi (43% comparativement à 29,7% pour l’ensemble de la population) et c’est particulièrement vrai pour les diplômés universitaires (53,5%), note l’IRIS. Les femmes immigrantes sont encore plus durement touchées (57,3 %).
Certains crieront au racisme, et c’est sûrement le fait de certains employeurs, mais ce qui est indiscutable est l’existence d’une discrimination systémique et de processus d’embauche entachés de biais, conscients ou non. Avant d’attirer des travailleurs de partout avec la promesse d’un avenir meilleur, le gouvernement se doit d’analyser, et de façon urgente, ce phénomène et de suggérer des solutions. L’écart avec les autres provinces indique un problème bien québécois qu’il faut corriger.
Comme le dit la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, le travail est «le principal levier d’intégration » des immigrants. Il ne suffit donc pas de débattre du devoir des immigrants de s’intégrer et de cibler en particulier les femmes qui subissent de façon disproportionnée la discrimination à l’embauche, il faut respecter notre part du contrat en leur donnant un réel accès au travail. Il n’y a pas de recette magique, mais la sensibilisation des employeurs, l’ouverture des ordres professionnels, des politiques d’embauche appropriées et l’adoption de techniques de recrutement qui contrecarrent les biais sont des moyens parmi d’autres pour y remédier.
Depuis 1980, l’Orchestre symphonique de Toronto cache les musiciens en audition derrière un écran et depuis, le nombre de femmes et de membres des minorités visibles dans ses rangs a grimpé en flèche. En octobre 2015, la Grande-Bretagne a adopté une politique de «recrutement à l’aveugle» pour sa fonction publique. Les gestionnaires n’ont que l’information nécessaire pour juger les qualifications du candidat, pas son nom. À Ottawa, le député libéral Ahmed Hussen souhaiterait que le fédéral fasse la même chose.
Les employeurs québécois pourraient y songer, le gouvernement aussi, d’autant plus qu’il a pris l’engagement de s’attaquer avec plus de vigueur à la sous-représentation des minorités visibles dans la fonction publique québécoise. La discrimination systémique à l’égard des immigrants contredit l’engagement pris auprès d’eux au moment de les accueillir et prive toute la société de leur pleine contribution. La combattre est l’affaire de tous, mais le gouvernement doit montrer le chemin. Et vite.