Le Devoir

Il faut qu’on se parle… mais sans questions truquées

-

Pour une «consultati­on publique non partisane », il me semble que les questions que vous avez mises de l’avant sont formulées de manière qui limite drôlement les réponses espérées. Bien que vous ayez eu la politesse de mettre des points d’interrogat­ion à la fin de chaque phrase, on voit bien que vos propres conclusion­s y sont dissimulée­s. En fait, le slogan «Il faut qu’on se parle» représente au mieux une subtile modificati­on sur le vrai message: «Il faut qu’on vous parle.»

Vous demandez «Démocratie: comment reprendre le pouvoir?» ; «Économie: comment développer le Québec selon nos priorités ? » ; «Indépendan­ce: comment se remettre en marche?». Mais si votre projet était réellement ouvert aux idées des gens à qui vous lancez de telles questions, pourquoi ne pas avoir choisi des phrases plus neutres et porteuses de réflexion? « Démocratie: avons-nous perdu le pouvoir?» ; «Indépendan­ce: encore pertinente?» ; « Économie: marché libre ou dirigé, avons-nous des priorités, si oui, lesquelles?», etc.

Une élite politique réussit à se rendre pertinente lorsqu’elle présente des projets qui mènent aux consensus. Tenter de bâtir de faux consensus au moyen de questions truquées, pour ensuite se les approprier… eh bien là, c’est de tomber non seulement dans le facile, mais aussi de détruire les fondements mêmes d’une élite politique utile pour la société: celle qui pense, qui agit, et qui du fait démontre son leadership. Plutôt de miser sur la transparen­ce et la force de vos propres idées, vous vous cachez derrière un subterfuge pseudo-consultati­f.

C’est un coup d’éclat médiatique à très bas risque qui vous octroie des bénéfices politiques. Je comprends votre intérêt làdedans, mais pour rester fidèle à cette analogie économique, il faut reconnaîtr­e que ces bénéfices sont bâtis sur l’extérioris­ation du risque. La sécurité que vous appréciez dans votre position se fait au prix d’augmenter le cynisme à l’égard de la politique.

Allez-y autrement. Foncez honnêtemen­t de l’avant, sans hésitation ni chemins sinueux. «Qui m’aime me suive!» Voilà un slogan plus noble pour tout prétendant à former l’élite politique. Mais encore faut-il avoir le courage de le dire… Et bon, ça aide aussi d’avoir des idées assez fortes sur lesquelles édifier ce courage. Youri Cormier, professeur de philosophi­e politique au Collège militaire royal du Canada Le 29 septembre 2016

Newspapers in French

Newspapers from Canada