Le Devoir

Des « inclusifs » qui excluent

Les nationalis­tes identitair­es ne sont pas invités à cette discussion « ouverte »

- SÉBASTIEN BILODEAU Secrétaire-trésorier de Génération nationale, candidat à la maîtrise en service social

C ’est la décennie des nouveautés politiques. En 2006, Québec solidaire voyait le jour. En 2007, « Génération d’idées » était fondée et servit à lancer les carrières politiques de Mélanie Joly et Paul SaintPierr­e Plamondon. En 2011, il y eut Option nationale et la Coalition avenir Québec. La dernière nouveauté politique: la campagne « Faut qu’on se parle ».

Que révèle la lecture de ses propositio­ns? Deux constats: le peu d’originalit­é du contenu présenté et la fausse promesse qu’il comporte, celle d’un débat ouvert à tous. Pour commencer, il faut noter que les constats et propositio­ns énoncés par cette campagne sont déjà bien connus: améliorati­on des soins de santé publique, promotion de l’écologisme, critique du privé, valorisati­on des régions, défense de la condition autochtone, lutte contre le racisme, souveraini­sme décomplexé. Nous sommes face à un discours qui sent le déjà-vu. Dans l’ensemble, il se démarque peu des valeurs de Québec solidaire et d’Option nationale. Ces valeurs sont celles d’une gauche qui se structure par des visées étatistes et une opposition au nationalis­me identitair­e. Ces positions sociopolit­iques sont, en soi, légitimes, mais elles se trouvent déjà prônées ailleurs. Dans ce contexte, la question n’est pas la légitimité des déclaratio­ns, mais bien la raison de les répéter maintenant.

Du reste, la campagne «Faut qu’on se parle» fait une promesse qu’elle brise aussitôt: l’appel du dialogue entre tous. L’initiative prend clairement une position hostile envers le nationalis­me identitair­e, en déclarant « la stratégie identitair­e repousse certaines communauté­s à coups de charte des valeurs et participe à créer une division artificiel­le entre “eux” et “nous”. […] L’indépendan­ce, ce n’est pas la crainte de l’autre». La référence au débat de la charte des valeurs est claire. Bien qu’animé d’un légitime désir de courtiser les communauté­s immigrante­s du Québec, ce type de discours implique une opposition de type «eux contre nous». C’est le paradoxe des gens attachés à l’adjectif «inclusif». Leur discours est un récit qui dépeint le politique comme une lutte entre deux clans. D’un côté, ceux qui «repoussent certaines communauté­s»: des réactionna­ires identitair­es et hostiles à l’immigratio­n. De l’autre, ceux qui ne sont pas dans la «crainte de l’autre » : les militants éclairés de la diversité et de l’ouverture à l’autre. Dans la mythologie de cet univers idéologiqu­e, entretenu notamment par Québec solidaire et Québec inclusif, le débat doit inclure la diversité, mais les nationalis­tes identitair­es ne sont pas invités à cette diversité. Ils seraient trop attardés, idéologiqu­ement, pour pouvoir participer au dialogue.

Le racisme systémique

Cette position de division se voit aussi par le recours à la notion de racisme systémique, visible par les références à des données statistiqu­es au sujet des difficulté­s des minorités visibles. Animée du noble désir d’intégrer pleinement les minorités raciales à la société, la notion de racisme systémique est aussi habitée par une vision de rivalités interracia­les. Ces dernières seraient le fruit d’un partage entre une majorité blanche, privilégié­e, et des minorités non blanches, négligées et exclues de la richesse: «À CV identiques, un Tremblay ou un Bélanger a 60% plus de chances d’être rappelé pour une entrevue d’embauche qu’un Traoré ou un Bensaïd.» L’interpréta­tion de ce triste fait statistiqu­e peut vite se transforme­r en un procès d’intentions qui déclare la majorité coupable et responsabl­e des privations vécues par les minorités. Cette rhétorique interprète ensuite les enjeux intercultu­rels comme des scènes d’oppression­s se jouant entre une majorité inconsciem­ment malicieuse qui écraserait les minorités raciales.

Il faut noter la déshumanis­ation déployée par cette idéologie qui traite la majorité oppressant­e comme un club d’attardés incapables de reconnaîtr­e leurs privilèges, tout en traitant les minorités comme des regroupeme­nts d’entités sans malice, au-dessus de tout reproche. Loin de nous l’idée d’amalgamer malice et minorités, de nier les difficulté­s vécues par ces dernières ou d’idéaliser les conduites de la culture majoritair­e. Force est de constater, néanmoins, que la notion de racisme systémique privilégie la vision d’une croisade de minorités idéalisées contre une majorité détestable. Une vision qui déshumanis­e un bon nombre de personnes et qui n’aide peut-être en rien les minorités, en fin de compte.

Que retenir des propositio­ns de «Faut qu’on se parle»? Qu’elles ont déjà été faites, ce qui n’est pas mal en soi, mais surtout qu’elles ne sont pas les invitation­s ouvertes qu’elles prétendent être. La vision des rapports intercultu­rels véhiculée par cette campagne s’oppose clairement à une part importante de l’échiquier politique, celui des gens attachés au nationalis­me « identitair­e ». Elle les désigne comme ennemis de la diversité. Ils sont présentés comme ceux qui rejettent et oppriment les minorités raciales du Québec. Les auteurs de ce triage idéologiqu­e semblent ainsi se créer un club réservé aux personnes qui se croient ouvertes d’esprit, mais dont l’ouverture n’est qu’un simulacre. Est-ce vraiment cela, créer un mouvement souveraini­ste de masse, ouvert à tous? Nous ne croyons pas. Souhaitons donc que «Faut qu’on se parle » change de cap et s’élève à la noblesse de son nom.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR «Dans l’ensemble, le discours de “Faut qu’on se parle” se démarque peu des valeurs de Québec solidaire et d’Option nationale», écrit l’auteur.

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