Le Devoir

L’indignatio­n à la bonne place

- FABRICE VIL

Dans une perspectiv­e d’un meilleur vivreensem­ble, j’avais d’abord pensé écrire sur le débat légitime relatif à la laïcité de l’État. Sur la prudence à exercer dans la tentation d’encadrer outre mesure la diversité religieuse, phénomène émergent au Québec. Mais non. Je n’ai aujourd’hui aucune envie de tenter une «analyse conciliatr­ice». De m’engager dans une discussion stérile concernant la justesse de mes virgules pendant que des leaders québécois présentent aux minorités un doigt d’honneur droit comme un point d’exclamatio­n.

Dans mon cauchemar de la nuit dernière, j’étais à la réunion du syndicat de ma copropriét­é. Il y avait ce monsieur. Il se présentait à la présidence du syndicat, à la suite de la démission de l’autre qui possédait notre journal, notre télévision et notre téléphone. Le nouveau monsieur, il a dit un tas de choses, certaines bien intéressan­tes. Puis : « En tant que candidat à la présidence, je propose que les deux femmes, là, qui proviennen­t de la rue Des Autres, située loin d’ici, n’aient pas le droit de porter des robes longues dans l’immeuble. D’un coup qu’elles y cachent des couteaux.» Silencieus­es, les deux madames. Autant que les gouttes qui perlaient de leur front. Dans la salle commune, murmures, éparpillem­ent d’applaudiss­ements, grognement­s. Fin de la réunion.

Je me suis joint aux conversati­ons ambiantes, abasourdi par ce que je venais d’entendre. Le consensus était de considérer le monsieur comme l’un des favoris à la présidence du syndicat. J’ai eu un haut-le-coeur qui s’est accentué le lendemain lorsque le monsieur a dit que les néocopropr­iétaires parfaits sont ceux issus de Paris, Bruxelles et Barcelone. S’en est suivi un débat sur le verbatim, ce qu’il a dit, ce qu’il n’a pas dit. Haïti, Shanghai. Nuances. Nuances. Je me suis réveillé en sursaut. Au sein de la magistratu­re, la crainte raisonnabl­e de partialité disqualifi­e tout juge à siéger s’il subsiste une crainte, aux yeux d’une personne raisonnabl­e, que le juge favorise ou défavorise injustemen­t une partie. C’est que l’état d’esprit du juge soulève alors le risque qu’une partie ne bénéficie pas d’un processus équitable. N’est-ce pas à un critère similaire que nos aspirants à la plus haute fonction de notre province devraient être tenus ?

Lorsqu’un candidat à la chefferie du parti représenta­nt l’opposition officielle suggère qu’une catégorie de personnes a une propension à cacher des bombes et des AK-47 sous ses vêtements, l’indignatio­n collective devrait s’ensuivre de manière à entraîner la récusation de ce candidat. Pas parce que quelque loi le commande. Celle-ci reconnaît, au contraire, la liberté d’expression.

Ceci étant dit, cette liberté que nous nous accordons collective­ment devrait être exercée en respect de la dignité de l’ensemble des citoyens. Quand un élu entretient des propos aussi insultants envers certains Québécois, force est de conclure qu’il en est convaincu, ou encore qu’il les alimente délibéréme­nt à des fins électorali­stes, ces propos étant cautionnés par une franche partie de la population. Dans tous les cas, le sens commun indique que cet élu est dépourvu de l’intégrité nécessaire à l’exercice de ses fonctions. Si un ministre fédéral déclarait que les Saguenéens sont à risque de faire exploser des bombes dans le ROC, celui-ci serait de facto considéré comme illégitime à se prononcer sur tout sujet relatif aux Québécois. Or, il n’en est pas de même dans le cas qui nous occupe.

Alors qu’il existe au Québec des enjeux réels relatifs au vivre-ensemble, enjeux qui méritent débat, nous voilà pris dans un piège composé d’analyses stériles, de tolérance pour l’intolérant et d’intoléranc­e pour les minorités. Le débat est à sa face même vicié par le caractère de celui qui l’engage. La conversati­on en cours cette semaine au sujet de la valeur de l’immigratio­n dite économique a sa pertinence. Mais l’enjeu n’est pas là: le politicien qui a lancé cette conversati­on lundi a déjà suggéré qu’il se fout des immigrants. Ceci, en soi, le dépouille de toute légitimité.

Tout récemment, notre voix s’est fait entendre si fort qu’elle a traversé l’Atlantique et a mené un journalist­e français à s’excuser aux Québécois. L’indignatio­n viscérale a parlé sans besoin d’analyse. Aujourd’hui, il est temps que la société majoritair­e fasse appel à cette indignatio­n au service des minorités ici: si nos politicien­s tiennent des propos aussi graves, c’est qu’ils s’autorisent de l’intoléranc­e ambiante. Il est temps qu’une masse critique de Québécois nomment cette intoléranc­e, la dénoncent sans détour et interdisen­t à nos politicien­s de casser du sucre sur le dos des minorités.

Il est temps que la société majoritair­e fasse appel à cette indignatio­n au ser vice des minorités ici

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