Le Devoir

Reine de son destin

Mira Nair raconte le destin d’une fillette illettrée mais futée qui trouve la victoire aux échecs

- ANDRÉ LAVOIE

QUEEN OF KATWE

★★ 1/2 Drame biographiq­ue de Mira Nair. Avec Madina Naiwanga, David Oyelowo, Lupita Nyong’o, Martin Kabanza. États-Unis–Afrique du Sud, 2016, 124 minutes.

Certains cinéastes possèdent un profil «internatio­nal», mais au-delà du caractère jetset, ils sont parfois perçus comme s’ils venaient de nulle part. Et que ce vide s’incarnait dans leurs films…

Depuis le succès de Salaam Bombay! (1988), Mira Nair n’est pas seulement une cinéaste indienne, mais une citoyenne du monde, et son cinéma ressemble souvent à un grand cri de ralliement en faveur de la diversité (Mississipp­i Masala, Monsoon Wedding, The Reluctant Fundamenta­list). Malgré le sceau Walt Disney — et le moralisme que ce studio sait si bien imposer —, Queen of Katwe relève de la même démarche, d’autant plus que cette histoire de bravoure n’est pas que pure fiction.

Il existe bel et bien une petite reine née à Katwe, un quartier pauvre en périphérie de Kampala, la capitale de l’Ouganda. Malgré la pauvreté de sa famille sans père et une mère (Lupita Nyong’o, la révélation de 12 Years a Slave) à bout de souffle pour nourrir ses enfants, Phiona (l’étonnante nouvelle venue Madina Naiwanga) réussit à jouer un bon tour à ce triste destin. Cela pourrait se résumer à un échec et mat puisqu’elle possède un don particulie­r pour saisir les subtilités d’un jeu nécessitan­t des aptitudes intellectu­elles de haut niveau. Et ce qui frappe encore plus son mentor, Robert (David Oyelowo), un ingénieur sans travail mais dévoué à l’égard de la jeunesse de son quartier, c’est sa capacité d’anticiper les mouvements de l’adversaire sur l’échiquier. Tout cela sans savoir lire.

Finir par s’imposer

Entre l’incessante quête d’argent pour la survie, les multiples tensions familiales, bref, un quotidien harassant, Phiona va tout de même réussir à s’imposer: d’abord auprès des garçons de son club de fortune situé dans une ancienne église, ensuite face à la petite élite locale d’une école privée, et finalement dans des championna­ts où elle goûte l’ivresse de la victoire, mais aussi l’humiliatio­n des défaites. Ce parcours hors du commun constitue une matière riche pour Mira Nair, captant la vie grouillant­e de ce milieu avec une aisance remarquabl­e alliée à celle de Sean Bobbit, le fidèle directeur photo de Steve McQueen (Shame, Hunger, 12 Years a Slave).

Sa capacité à se fondre dans des univers qui lui semblent étrangers constitue la grande force d’un film comme Queen of Katwe, mais on y voit tout de même les limites d’un discours lénifiant sur le courage devant l’adversité, dans la plus pure tradition Disney. Bien que cet empire ait ici fait preuve de quelques audaces (de grands acteurs pas encore de grandes vedettes; aucun personnage blanc pour sécuriser un public frileux; la célébratio­n d’un jeu universel moins rassembleu­r que, disons, le foot), cette leçon de bravoure effleure et élude bien des réalités douloureus­es, donnant à l’affaire les allures d’un conte de fées.

Hommage bien senti, parfois appuyé, Queen of Katwe offre une conclusion émouvante avec la présence des véritables protagonis­tes aux côtés des acteurs qui les ont incarnés, joli clin d’oeil à une réalité encore plus âpre et plus complexe que celle reconstitu­ée par Mira Nair.

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SOURCE BUENA VISTA Phiona va tout de même réussir à s’imposer.

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