Le Devoir

Ceux qui font les révolution­s... Un film qui dérange

L’équipe de Ceux qui font les révolution­s… essuie vandalisme et intimidati­on

- FRANÇOIS LÉVESQUE

« J e n’ai jamais vu ça dans toute l’histoire du cinéma québécois!» La déclaratio­n émane de Louis Dussault, dont la société K-Films Amérique distribue le long métrage Ceux qui font les révolution­s à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau, plongé en pleine tourmente depuis sa sortie le 3 février. En effet, malgré un accueil critique positif, le film de Mathieu Denis et Simon Lavoie a soulevé l’ire d’anciens acteurs du Printemps érable, qui ont pris la plume pour le dénoncer. Sans que ceci soit forcément relié à cela, les artisans du film ont par ailleurs fait l’objet d’intimidati­on et des affiches ont été vandalisée­s. On ignore qui est derrière cette cabale.

Pour mémoire, cette chronique politique conte le quotidien, et revisite le passé, de quatre jeunes révolution­naires dont l’idéalisme vire au fanatisme après qu’ils eurent décidé de vivre en retrait d’un monde qu’ils désirent pourtant changer.

« Quand elles n’ont pas été arrachées, des inscriptio­ns haineuses ont été écrites sur les affiches du film dans Hochelaga autant que dans Rosemont ou sur le Plateau; ça n’est pas circonscri­t à un quartier. Notre réseau Facebook a été infiltré ; on a eu du sabotage, du harcèlemen­t. On remet en question le droit d’exister du film: c’est stalinien comme attitude», explique Louis Dussault, qui a envisagé de porter plainte à la police, mais y a renoncé pour l’instant.

S’il n’a jamais rien vu de tel dans le cinéma québécois, le distribute­ur dresse toutefois un parallèle avec un film français fort controvers­é en son temps. « Quand La maman et la putain est sorti en 1973, tous les soixante-huitards ont dénoncé un film qui trahissait les idéaux de Mai 68. On évoquait une dérive de la droite. Ils n’avaient pas de recul et ont pris le film pour une tentative d’illustrati­on de Mai 68 alors que ce n’était pas ça. De la même manière, le film de Mathieu et Simon n’est une illustrati­on ni du Printemps érable ni du vécu de ceux qui l’ont fait. »

Un malentendu?

Selon le distribute­ur, l’affaire tient du malentendu. Impression partagée par Mathieu Denis, coauteur du film avec Simon Lavoie.

«Simon et moi, nous nous surprenion­s que le Printemps érable soit si vite disparu de la sphère publique; qu’il ait été si vite occulté des débats publics. Nous avons donc voulu ramener certains questionne­ments soulevés à l’époque. En ce moment, il y a un groupe de personnes qui s’attaque à l’existence même du film, qui nous reproche de ne pas avoir reproduit fidèlement ce qu’a été l’expérience du Printemps érable de l’intérieur. Mais ce n’est pas du tout ce que nous prétendion­s faire. Notre film ne se passe pas en 2012; il n’est pas un compte rendu de ce qui s’est produit alors et il ne met pas en scène des personnes réelles. L’action se déroule aujourd’hui, avec des personnage­s fictifs qui tentent de rester engagés dans la durée tout en faisant face à des questionne­ments difficiles: comment se battre? Et contre qui ? Pour moi, ces questionne­ments-là, oui, font écho à la lutte étudiante de 2012, mais ils résonnent de manière universell­e au présent. En tant que société, en tant que collectivi­té, on doit tous se débattre avec cette problémati­que. Nous sommes plusieurs à craindre que notre société soit en train de foncer dans un mur, mais nous ne détenons pas la solution. S’attaquer de la sorte au film, c’est se tromper de cible.»

Fédérateur néanmoins

Invité à commenter l’affaire, le co-porte-parole de la Coalition large de l’Associatio­n pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) durant la grève étudiante de 2012, Gabriel Nadeau-Dubois, a avoué n’avoir prévu voir le film que le lendemain, tout en précisant du même souf fle : « Depuis 2012, j’ai rarement vu autant de militants, qui proviennen­t de toutes sortes de tendances à l’intérieur du mouvement étudiant, être autant d’accord sur quelque chose. Des plus modérés au plus radicaux, les réactions sont unanimemen­t négatives. »

Pour autant, Mathieu Denis reste philosophe. «Dans la frange la plus furieuse, épidermiqu­e, de la réponse à notre film, je perçois ironiqueme­nt une ressemblan­ce avec nos personnage­s qui portent en eux une fougue évidente, mais aussi une part d’amertume, ainsi qu’une colère qu’ils ne savent pas comment canaliser. Dans le cas présent, on dirait qu’il y a des gens qui ont canalisé leur colère contre notre film. Je ne suis pas prêt à dire que c’est mauvais, en cela qu’il y a de nouveau une prise de parole. On rediscute de l’héritage du Printemps érable… Même si c’est douloureux de subir certains commentair­es, j’y vois du positif», conclut le coréalisat­eur qui, pour l’anecdote, arrivait d’une rencontre avec des étudiants en cinéma de l’UQAM au moment de rappeler Le Devoir.

Lauréat du prix du meilleur long métrage canadien au Festival internatio­nal du film de Toronto, Ceux qui font les révolution­s à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau sera présenté ces jours-ci au Festival internatio­nal du film de Berlin dans la section « Generation », consacrée à la jeunesse.

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