Penser son quartier, un architecte et un citoyen à la fois
Un dimanche pluvieux et sinistre… digne du mois de novembre! Pourtant, ce jour-là, il y avait foule à la bibliothèque Saint-Henri. Était-ce pour un spectacle de musique? Pas du tout. Citoyens et jeunes architectes y parlaient-rêvaienti-maginaient «aménagement dans le quartier»…
Rapprocher concepteurs et usagers
Sensibiliser les citoyens à l’architecture contemporaine et au design urbain. Voilà l’une des missions que s’est données la Maison de l’architecture du Québec (MAQ) dans le cadre de son programme de visites et d’ateliers. «C’est un projet qui crée un dialogue inédit entre un bâtiment contemporain, son concepteur — l’architecte — et ses usagers ou les résidants du quartier», explique Pauline Butiaux, qui coordonne et anime ce programme depuis sa première édition en 2014. La formule se renouvelle chaque saison. Celle de 2017 sera plus «visites participatives ». Participatives ? «Les citoyens vont guider la visite! Nous allons leur demander de partager leurs questions, leurs émotions. C’est un format beaucoup plus vivant qu’une visite classique. En plus des concepteurs présents, nous invitons un animateur, qui va stimuler les échanges entre les citoyens et eux», se réjouit Pauline Butiaux. Sur les six visites programmées un peu partout à Montréal (Côte-desNeiges–Notre-Dame-De-Grâce, Lachine, MileEx, Griffintown, Saint-Michel, Ville-Marie), les trois premières donnent rendez-vous dans des bibliothèques.
Pourquoi des bibliothèques? «Il se trouve qu’en ce moment, à Montréal, les plus beaux bâtiments inaugurés sont soit des bibliothèques — en raison de l’important programme de construction qui s’accompagne de concours en architecture —, soit des nouveaux pavillons dans les musées. La Maison de l’architecture du Québec va vers ce qui peut être intéressant pour le grand public. C’est aussi une manière simple de rejoindre les gens, de les informer de ce qui se passe dans leur quartier», ajoute Sophie Gironnay, directrice générale et artistique de la MAQ. Il est vrai qu’une bibliothèque en voit passer du monde. Des cheveux blancs, des adolescents mordus de séries fantastiques, des bébés qui manipulent leurs premiers livres d’images… Et encore plus lorsque les lieux sont inspirants, qu’ils ont été bien pensés, comme en témoignent les chiffres de fréquentation.
Mieux comprendre le travail des créateurs
Rapprocher concepteurs et usagers donc, mais aussi démystifier le travail de ces derniers. Comment pense un architecte, comment se prépare-t-il, quel sens souhaite-t-il donner au bâtiment? «On ne se mêle surtout pas de politique — par exemple, tel quartier qui prend telle direction en aménagement urbain. Nous faisons de la médiation au sens pur du terme. À savoir, faire découvrir une discipline artistique aux gens en passant par le dialogue et l’échange autour de choses concrètes: des bâtiments construits, des projets en cours ou à venir», soutient Sophie Gironnay. Et puis, les architectes, les urbanistes et les designers ne vivent pas sur une autre planète! Ils sont eux aussi des citoyens, voire des habitants du quartier dans lequel ils interviennent ou sont susceptibles d’intervenir. Les rencontres permettent ainsi «d’humaniser» un métier qui souvent impressionne. «Les architectes sont des créateurs de l’ombre, dont les intentions, les gestes, les méthodes et les savoirs sont passionnants; mais ils restent méconnus du grand public. Pour eux, ces rencontres sont très riches. Ils aiment expliquer leur projet, être au contact des citoyens pour entendre leurs points de vue, leurs besoins, leurs imaginaires… C’est très intéressant pour un architecte d’avoir un rapport d’égal à égal avec le citoyen et d’échanger librement », précise Pauline Butiaux, elle-même consultante en design urbain.
La popularité croissante pour le programme de visites et d’ateliers de la Maison de l’architecture du Québec confirme l’intérêt de part et d’autre. Les gens s’inscrivent, s’impliquent, jouent le jeu, questionnent, se questionnent, le climat actuel étant d’autant plus favorable à l’architecture et au design urbain.
«On s’imagine que l’architecture se fait dans des officines mystérieuses, qu’il y a un fossé infranchissable entre le public et les créateurs, mais pas du tout ! », défend sa directrice et fondatrice. La MAQ est d’ailleurs agréablement (et la première) surprise des commentaires et des retours positifs des personnes qui participent aux activités, de leurs connaissances aussi, de leur sensibilité. « On observe un réel mouvement urbain contemporain, où les citoyens ne sont plus seulement des usagers administrés “consommant” la ville, mais des “acteurs” de leur propre quartier
qui participent au design de leur environnement: ruelles vertes, carrés d’arbres, agriculture urbaine, restauration contemporaine de duplex, ateliers de codesign pour leur future bibliothèque, etc.», confirme Pauline Butiaux. L’architecture contemporaine laisse rarement indifférent, à condition de s’y intéresser un tantinet et de prendre le temps de la regarder. Elle interpelle, elle enthousiasme, elle déplaît, elle choque parfois.
« Le but de notre programme de médiation est de faire connaître aux citoyens curieux les processus créatifs en architecture et en urbanisme afin qu’ils puissent mieux aiguiser leur esprit critique et leur pouvoir d’agir dans la ville!», résume Pauline Butiaux.
La ville, cet ensemble de «nous» et de constructions en constante évolution… Architecturons notre réflexion !