Le Devoir

Après les émeutes à Bobigny, la France craint la contagion

Une décennie après les violences de 2005, les banlieues sont toujours explosives

- CHRISTIAN RIOUX Correspond­ant à Paris

«Ils veulent la révolution.» «Ce n’est pas acceptable ce qu’ils ont fait.» «Ça va mal finir. » À Noisy-le-Sec, dimanche, la commune était en émoi après la nuit d’émeute qu’a connue la ville de Bobigny juste en face, à 15 minutes à pied de l’autre côté du canal de l’Ourcq. Dans la rue principale, ça discutait fort. Si certains jeunes défendaien­t la réaction des manifestan­ts à la suite de la mise en examen pour violence de quatre policiers, dont l’un est soupçonné d’avoir violé le jeune Théo à Aulnay-sous-Bois le 2 février, d’autres étaient en colère contre les émeutiers. Malgré un rassemblem­ent jusque-là pacifique, ceux-ci ont en effet détruit la gare, fracassé les vitrines et mis le feu aux cars de reportage des médias et à des voitures. On aurait même évité un drame lorsqu’une fillette seule dans une voiture a été secourue par un jeune du quartier. « Si ça continue, on va l’avoir, le Front national! », hurlait un jeune au téléphone sur l’avenue AnatoleFra­nce.

Après deux nuits consécutiv­es de violence, plusieurs n’hésitent plus à évoquer le souvenir encore vivace des émeutes de 2005. Vingt jours d’une véritable guérilla urbaine avaient alors

enflammé la France, se soldant par 300 bâtiments publics vandalisés, 10 000 véhicules incendiés et 56 policiers blessés. Un miracle qu’il n’y ait pas eu de mort.

Cette fin de semaine, les manifestan­ts n’ont d’ailleurs pas craint de multiplier les références à Zyed et Bouna. En 2005, c’est la mort de ces deux jeunes de Clichy-sous-Bois, réfugiés dans un transforma­teur électrique pour fuir un contrôle d’identité, qui avait mis le feu aux poudres. « La France comme en 2005», disait l’appel diffusé dimanche sur les réseaux sociaux invitant à se retrouver à Argenteuil. «Venez équipé et capuché, y a des caméras. En masse et foutez le zbeul [bordel] », pouvait-on y lire. Résultat: plusieurs voitures incendiées, des abribus détruits et un chauffeur de bus blessé au visage. Selon Le Figaro, qui a eu accès au rapport confidenti­el du préfet de police, au moins 50 incidents dans une trentaine de communes en Île-de-France ont été recensés dans la nuit de dimanche.

Profil bas

Samedi soir à Bobigny, les policiers ont dû tirer une centaine de grenades lacrymogèn­es pour

faire reculer les assaillant­s. Au plus fort des affronteme­nts, parmi les insultes adressées aux policiers, on entendait «Allahu Akbar». Des échauffour­ées ont aussi eu lieu à Drancy.

Tout cela alors que la France est toujours sous la loi de l’état d’urgence. Plusieurs élus, dont le candidat de la droite François Fillon, en campagne à La Réunion, se sont étonnés qu’on n’ait pas interdit une manifestat­ion dont il était facile de prévoir qu’elle dégénérera­it, disent-ils. « Le gouverneme­nt ne doit pas laisser s’exprimer la violence, dont les premières victimes sont toujours les habitants des banlieues », a déclaré François Fillon. Le socialiste Julien Dray craint quant à lui « l’instrument­alisation de ces situations […] sur le terrain, par des groupes qui sont extrêmemen­t radicaux et qui poussent à la confrontat­ion».

Personne n’ose imaginer ce que donneraien­t de telles émeutes à répétition à moins de dix semaines de l’élection présidenti­elle. De peur que l’histoire ne se répète, le gouverneme­nt tente de lancer des signaux d’apaisement. La semaine dernière, le président François Hollande s’était rendu à l’hôpital au chevet de Théo. Ce mardi, il sera à Aubervilli­ers pour parler de l’emploi des jeunes et à nouveau dans une banlieue sensible jeudi lors d’un déplacemen­t à Rennes.

Les policiers ont visiblemen­t la consigne de faire profil bas, quitte à se laisser lapider sans rien dire. Dimanche, aux Ulis dans l’Essonne, un commissari­at a été attaqué à coups de projectile­s et de cocktail Molotov à quatre reprises durant la nuit. Aucune arrestatio­n n’a été faite. Les policiers ont passé la nuit sans bouger, réfugiés à l’intérieur. Alors qu’il est critiqué à droite pour son manque de soutien aux forces de l’ordre, François Hollande devrait rencontrer des policiers vendredi à Chartres et à Dreux.

Tensions à leur comble

Lundi, le premier ministre, Bernard Cazeneuve, a reçu à Matignon des organisati­ons antiracist­es. Celles-ci dénoncent les contrôles «au faciès» et réclament l’émission d’un «récépissé» à chaque contrôle d’identité. Selon le quotidien Le Monde, il se produirait environ 14 millions de contrôles d’identité sur le territoire français chaque année. Le ministre de l’Intérieur Bruno Leroux a écarté cette solution, jugée trop complexe, au profit du déploiemen­t de minicaméra­s vidéo portatives. Selon lui, la manifestat­ion de Bobigny se voulait pacifique, mais elle «a été pourrie par des groupes de casseurs ». La candidate du Front national, Marine Le Pen, y voit plutôt «la conséquenc­e du laxisme […] qui est la responsabi­lité des politiques qui nous ont gouvernés pendant des années ».

Chose certaine, les relations de la police avec ces banlieues, où on leur tend parfois des embuscades, restent extrêmemen­t difficiles. Pour de nombreux policiers, les événements d’Aulnaysous-Bois doivent être mis en perspectiv­e avec le guet-apens dans lequel sont tombées les forces de l’ordre le 8 octobre dernier près du quartier de la Grande-Borne, au sud de Paris. Ce jour-là, deux policiers avaient été gravement brûlés dans leur voiture alors qu’un groupe de jeunes y avaient lancé des cocktails Molotov en bloquant les portes. Les analystes soulignent aussi la tension extrême à laquelle sont soumis les policiers après 15 mois d’état d’urgence pendant lesquels ils ont été sur tous les fronts. Même les journalist­es semblent dans le viseur des émeutiers puisque, à Bobigny, un représenta­nt de l’AFP s’est fait arracher sa caméra alors qu’un autre de BFMTV a été agressé après avoir terminé son travail.

« La France simpliste est schizophré­nique, écrit dans Le Figaro le chroniqueu­r Gilles-William Goldnadel. Hier, elle était Charlie. Elle aimait toute la police. Aujourd’hui, toute la police est raciste ». Parmi les quatre policiers mis en examen pour « violence volontaire en réunion » sur le jeune Théo, l’un d’eux est toujours accusé de viol, même si le rapport de l’Inspection générale de la police nationale parle de violence «non intentionn­elle». L’instructio­n pourrait durer plusieurs mois, surtout si l’accusation de viol est maintenue, celle-ci devant obligatoir­ement être tranchée en cour d’assises.

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