Le Devoir

Le réseau d’enseigneme­nt ne doit pas être asservi aux besoins des entreprise­s. Une entrevue avec Jacques Létourneau, président de la CSN.

- FRANÇOIS DESJARDINS

Àl’approche du Rendez-vous national de la main-d’oeuvre, qui aura lieu jeudi et vendredi à Québec, la CSN s’inquiète à l’idée que la réponse aux besoins des entreprise­s en matière de formation entraîne un impact nuisible sur le réseau d’enseigneme­nt.

Alors que les résultats d’un sondage commandé par le Conseil du patronat du Québec (CPQ) accordent beaucoup d’importance aux interactio­ns avec les établissem­ents d’enseigneme­nt, le président de la centrale syndicale veut éviter que le réseau public soit indûment attaché.

« Ce n’est pas vrai qu’on va, dans des régions spécifique­s, modeler ou ajuster l’enseigneme­nt collégial et postsecond­aire en fonction uniquement des besoins des entreprise­s», a affirmé lundi Jacques Létourneau lors d’une table éditoriale au Devoir. La qualité du travail et ses conditions doivent figurer dans l’équation, a-t-il dit.

« Que les acteurs du marché du travail manifesten­t leurs besoins et qu’on regarde comment on est capable de répondre à des demandes particuliè­res, c’est une chose», a dit le président de la CSN, dont l’une des composante­s, la Fédération nationale des enseignant­es et enseignant­s du Québec (FNEEQ), représente 34 000 membres aux niveaux collégial et universita­ire. « Mais modeler le réseau d’enseigneme­nt en fonction des besoins d’entreprise sans tenir compte de la valeur ajoutée de notre réseau actuel, ça nous pose un problème. »

Problèmes de recrutemen­t

Dans les résultats du sondage du CPQ publié jeudi dernier, effectué auprès de 300 répondants, 70% des entreprise­s interrogée­s affirment éprouver des problèmes de recrutemen­t. À l’intérieur de ce groupe, les défis se répartisse­nt entre les emplois ne nécessitan­t aucune diplomatio­n particuliè­re (28%), le niveau « métier » (secondaire, 37%) et le niveau « technique » (collégial, 29%). Pour le reste, 28% des employeurs disent ne vivre aucun problème.

Invitées à citer les appuis gouverneme­ntaux les plus bénéfiques au recrutemen­t, les entreprise­s ont évoqué les services d’aide à l’emploi (43%) et les programmes de formation et de stage assurés par les établissem­ents d’enseigneme­nt (43 %). Selon le CPQ, le Québec doit se doter d’une «vision globale concernant la gestion du capital humain, qui doit se répercuter dans toutes les politiques gouverneme­ntales, surtout les politiques économique­s».

Résultat d’une promesse faite en mai, la tenue du sommet sur la main-d’oeuvre était d’abord prévue en novembre 2016, mais le gouverneme­nt Couillard a préféré le reporter de quelques mois afin de maximiser les chances

d’une entente entre les divers groupes, dont le patronat et le monde syndical. Des deux côtés de la clôture, les représenta­nts estimaient qu’il s’agissait là d’une sage décision, car un sommet hâtif aurait pu n’aboutir à rien.

Renouveau

Le président de la CSN s’interroge aussi sur les règles qui balisent la syndicalis­ation et évoque le besoin d’une approche différente, notamment pour le commerce de détail, où la tâche est «presque impossible », car il faut procéder « magasin par magasin ». La fermeture des succursale­s et le taux de roulement dans un milieu de travail formé notamment de travailleu­rs jeunes et à temps partiel «font en sorte qu’à un moment, on perd la majorité, et il y a une révocation de l’accréditat­ion», a-t-il poursuivi.

Sur les six dépanneurs de Couche-Tard ayant fait l’objet d’une convention collective en 2013, un seul est encore syndiqué. Dans les cinq autres, une demande de révocation a été soumise et approuvée par le Tribunal administra­tif du travail (TAT) à l’automne 2016.

«Je n’ai pas de regrets, c’est juste que ça va nous forcer à réfléchir et à penser autrement la syndicalis­ation de ces milieuxlà, a dit M. Létourneau. Si on ne renouvelle pas la façon d’organiser, il y a des secteurs où on ne réussira jamais à percer. Les Walmart, ils vont les fermer, les McDonald’s, ils vont les fermer. Est-il possible de créer un effet de mouvement pour que le gouverneme­nt mette en place des décrets de convention pour un secteur d’activité? Peut-être. […] Je suis convaincu que le renouvelle­ment va passer par de nouvelles approches.»

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR « Modeler le réseau d’enseigneme­nt en fonction des besoins d’entreprise sans tenir compte de la valeur ajoutée de notre réseau actuel, ça nous pose un problème», souligne le président de la CSN, Jacques Létourneau.

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