Le Devoir

La grève des juristes de l’État s’essouffle

Possible retour au travail des 1100 avocats et notaires du gouverneme­nt

- ISABELLE PORTER à Québec

En grève depuis 17 semaines, les 1100 avocats et notaires de l’État pourraient bien voter un retour au travail mardi, selon leur porte-parole, Me Jean Denis. Les membres sont «à bout de souffle» et le fonds de grève est épuisé depuis déjà deux semaines.

«Les gens sont épuisés. […] Il y a des gens qui disent qu’ils veulent retourner, a déclaré le président des Avocats et notaires de l’État québécois (LANEQ). Il y a de jeunes familles là-dedans. Des soutiens de famille… Ces soutiens de famille là, ils ont besoin d’argent. »

Les membres doivent de nouveau se prononcer mardi sur la poursuite de la grève ou un possible retour au travail lors d’une assemblée extraordin­aire. Lundi, M. Denis a dit s’attendre à ce que l’offre du gouverneme­nt soit rejetée massivemen­t, mais qu’il en serait autrement pour le retour au travail. «Ça va être serré», a-t-il dit. Lors de la dernière assemblée à la fin janvier, le maintien de la grève avait reçu un appui de 83% et l’offre du gouverneme­nt avait été rejetée à 97 %.

Advenant un retour au travail, LANEQ n’exclut pas une grève des heures supplément­aires ou une grève partielle. «Les avocats, ça ne travaille pas nécessaire­ment de 8h30 à 16h30, mais là, on ferait ça. Quand on part à 16h30, les ministres et les sous-ministres n’aiment pas ça», a lancé Me Denis lundi en conférence de presse. Avec tout le retard pris ces dernières semaines, cela pourrait encore « beaucoup » ralentir la machine, selon lui.

Dans le cadre du renouvelle­ment de leur convention collective, les membres de LANEQ réclament les mêmes conditions salariales obtenues l’an dernier par les procureurs de la Couronne (10% de plus sur quatre ans), alors que le Conseil du trésor leur propose celles consenties à la fonction publique (5,25% sur la même période). Ils plaident que dans le passé, ils avaient la parité avec les procureurs de la Couronne et que c’est ainsi dans le reste du Canada.

Poursuite de 36,75 millions

Lundi, leur associatio­n a aussi annoncé qu’elle poursuivai­t le gouverneme­nt du Québec pour 36,75 millions devant le Tribunal administra­tif du travail. Cette démarche est distincte des négociatio­ns, selon M. Denis, qui soutient que la préparatio­n de la poursuite est en cours depuis un certain temps.

Il allègue que le gouverneme­nt a enfreint le Code du travail en ne négociant pas de bonne foi. Me Denis allègue que son associatio­n a fait des concession­s à six reprises dans le cadre négociatio­ns, alors que le gouverneme­nt maintient la même position depuis le début. Une stratégie, dit-il, destinée à « humilier » et « abaisser » ses membres.

« Assez, c’est assez. Trop, c’est trop, a déclaré Me Denis. Ils n’apprendron­t sûrement pas à des avocats comment défendre leurs droits. »

Les 36,75 millions incluent le remboursem­ent des 4 millions du Fonds de grève, des 8 millions de la marge de crédit obtenue par LANEQ, et l’équivalent de 15 000 $ par membre pour dommages moraux et 7500$ pour intérêts punitifs.

Le recours devant le Tribunal serait-il une manière de mieux faire accepter un retour au travail ?

Au-delà du salaire, les avocats et notaires de l’État veulent le même statut que les procureurs ont depuis 2011. Ces derniers n’ont pas le droit de grève mais la loi prévoit que ses conditions sont déterminée­s par un comité.

Un précédent dans les négos?

Pourquoi réclamer la même chose que les procureurs? La tâche est-elle comparable ? Absolument, répond Me Denis. «Je ne comprends pas qu’on dise que les gens qui font du droit criminel sont plus intelligen­ts ou meilleurs que ceux qui font du droit administra­tif comme moi. Ils viendront en faire, ils vont voir que c’est difficile et très compliqué. »

Pour l’ex-ministre et professeur de droit à l’Université d’Ottawa, Benoît Pelletier, cela va de soi. «Le gouverneme­nt devrait traiter tous ces juristes sur un pied d’égalité. C’est très difficile de justifier une distinctio­n au sein d’une masse d’employés qui ont la même formation et exercent essentiell­ement le même type de fonction.» Comment expliquer alors la stratégie gouverneme­ntale ?

Selon l’ancien ministre, le gouverneme­nt craint un effet «boule de neige». «Il redoute qu’après, tous les profession­nels de la fonction publique réclament la même chose. […] Et évidemment, il ne veut pas perdre son contrôle des finances publiques. »

Le président du Conseil du trésor, Pierre Moreau, n’a pas voulu commenter le dossier lundi, il le fera vraisembla­blement mardi.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR En grève depuis 17 semaines, les juristes de l’État voteront aujourd’hui un retour au travail.

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