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Médias locaux et réflexes numériques. La chronique de Pierre Trudel.

- PIERRE TRUDEL

Le projet de loi 122 actuelleme­nt étudié à l’Assemblée nationale étend les pouvoirs des municipali­tés, notamment pour déterminer les conditions dans lesquelles elles doivent diffuser leurs avis publics. Hélas, il rate une occasion de mettre à niveau le cadre juridique assurant la transparen­ce des décisions municipale­s. L’encadremen­t qu’il propose de la publicité des décisions municipale­s constitue pourtant une occasion de renforcer la capacité des médias locaux à prendre le virage numérique.

La numérisati­on et le basculemen­t des activités dans Internet changent les conditions de la circulatio­n de l’informatio­n. Plutôt que saisir l’occasion de favoriser le passage au numérique des médias locaux, le projet se limite à répondre aux demandes des dirigeants municipaux. Tel qu’il est présenteme­nt libellé, le projet de loi 122 rate une occasion d’organiser les obligation­s de publicité des villes d’une manière qui contribuer­ait à fortifier les médias locaux.

Les obligation­s des villes

Le projet de loi 122 révise les exigences relatives à la publicité que les villes sont tenues de faire de leurs projets, de leurs décisions et de leurs règlements. Il dispose qu’une municipali­té peut, par règlement, déterminer les modalités de publicatio­n de ses avis publics. Ces modalités peuvent différer selon le type d’avis, mais le projet de loi se limite à préciser que les villes doivent prévoir une publicatio­n sur Internet.

Depuis longtemps, les lois municipale­s imposent aux gouverneme­nts municipaux de publier leurs avis officiels dans les journaux diffusés sur leur territoire. Cela assure un minimum de transparen­ce et contribue à l’essor des médias locaux.

En voulant refléter l’impératif de recourir aux espaces numériques, le projet de loi 122 reconduit cette obligation de transparen­ce en obligeant à la diffusion sur Internet. Voilà qui est bien. Mais pourquoi avoir omis de préciser que la diffusion doit emprunter, dans toute la mesure du possible, la voie des médias locaux publiés en ligne? Le libellé actuel du projet de loi laisse aux municipali­tés la faculté d’afficher sur un obscur site Web de leur cru. Pire, il laisse grande ouverte la possibilit­é pour des élus municipaux de délaisser complèteme­nt la publicatio­n dans des médias locaux.

Il serait pourtant facile d’obliger les villes à publier leurs avis dans un média local disponible sur Internet. Les ressources que les villes consacrent à la diffusion des informatio­ns officielle­s constituen­t une source significat­ive de revenus pour plusieurs médias locaux. À l’heure où l’on se plaint de la précarité de plusieurs médias locaux, le bon réflexe est de moderniser les obligation­s des villes dans un sens qui renforce ces médias.

Renforcer la responsabi­lité et les médias locaux

Les marges de manoeuvre accrues que le projet 122 accorde aux municipali­tés devraient venir avec des obligation­s renforcées de responsabi­lité. Voilà un motif supplément­aire d’assortir ces pouvoirs accrus de mesures protégeant l’informatio­n locale indépendan­te.

L’occasion aurait été idéale pour imposer aux gouverneme­nts locaux une obligation de répartir équitablem­ent leur publicité dans l’ensemble des médias locaux afin d’éviter la tentation qui pourrait effleurer certains édiles municipaux d’utiliser la menace de retirer les publicités officielle­s de certains médias qu’ils jugent trop critiques de leurs politiques !

Certes, le projet de loi 122 accorde au gouverneme­nt un pouvoir de baliser les conditions que les villes peuvent édicter pour la publicatio­n de leurs avis officiels. Mais le souci d’assurer une informatio­n locale de qualité et une présence des médias locaux dans l’espace numérique devrait être enchâssé dans la loi. Les autorités ne devraient pas être exposées à la tentation de se servir de leurs budgets publicitai­res afin de tenter de «domestique­r» les médias locaux.

Lorsqu’on veut vraiment favoriser le passage au numérique, il importe de saisir les occasions d’appuyer les efforts des entreprise­s pour se transforme­r. En dispensant les municipali­tés de l’obligation de recourir aux sites des médias locaux pour diffuser leurs avis publics, on affaiblit la capacité de ces médias à produire de l’informatio­n locale selon des standards élevés de qualité.

Assurer le passage réussi vers le numérique implique de mettre à niveau le cadre juridique régissant le fonctionne­ment des services publics. Il faut avoir les bons réflexes pour renforcer les capacités des entreprise­s plutôt que de contribuer à les fragiliser. S’il n’est pas modifié afin de renforcer les médias locaux, le projet de loi 122 aura montré — une fois de plus — que les politiques sur le passage au numérique sont minées par cette habitude d’intervenir en silo: les lois municipale­s ignorant les objectifs des politiques numériques et vice versa !

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