Le Devoir

Dangereux revirement concernant le droit d’accès aux informatio­ns en environnem­ent

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Monsieur Philippe Couillard Les personnes et organismes soussignés vous demandent d’inter venir pour assurer que l’équilibre social, dont vous avez la responsabi­lité ultime au Québec, soit maintenu dans le processus de réforme actuel de l’importante Loi sur la qualité de l’environnem­ent (LQE). Nous vous rappelons que cette loi est la seule qui donne à la population québécoise, de façon limitée, certains droits d’accès à l’informatio­n, de participat­ion et d’accès à la justice en matière d’environnem­ent et que ces droits sont demeurés inchangés depuis 1978.

Votre gouverneme­nt a légitimeme­nt entrepris une vaste réforme visant à moderniser cette loi, tout d’abord par la publicatio­n d’un Livre vert en juin 2015 et ensuite par le dépôt du projet de loi 102 en juin 2016. À chaque occasion des consultati­ons publiques en commission parlementa­ire ont eu lieu, sous la conduite du ministre, M. David Heurtel. De façon tout aussi légitime, l’objectif principal annoncé de ce projet de loi est de moderniser et de simplifier les mécanismes d’autorisati­on environnem­entale pour les entreprise­s. Vous visez une réduction de 30% du nombre d’autorisati­ons environnem­entales nécessaire­s ainsi qu’une diminution des délais. Cela correspond à des attentes exprimées par le milieu économique et vous cherchez à satisfaire leurs priorités. Dans un État de droit comme le nôtre, un gouverneme­nt majoritair­e peut tout à fait décider de répondre à ce type de demandes.

En revanche, les seules considérat­ions économique­s ne peuvent guider l’ensemble du processus actuel de réforme. La modernisat­ion recherchée doit aussi permettre d’améliorer les mécanismes favorisant la protection de l’environnem­ent et de ses différente­s composante­s ainsi que la mise en oeuvre des droits procédurau­x accordés à la population à cette fin. Les promesses du Livre vert et le contenu du projet de loi 102 permettaie­nt, bien que fort minimaleme­nt, d’équilibrer les avancées obtenues par les entreprise­s avec celles concernant principale­ment l’accès à l’informatio­n et les mécanismes de participat­ion du public à la prise de décision en matière environnem­entale. Tant les règles démocratiq­ues et politiques que les exigences du développem­ent durable font en sorte qu’aucun groupe d’intérêt ne peut «monopolise­r» l’attention et imposer sa vision sur une loi aussi importante que la LQE.

Retard reconnu

Cependant, nous devons constater que les grandes associatio­ns d’entreprise­s du Québec ne se sont pas satisfaite­s des gains obtenus pour leurs membres en matière de simplifica­tion et réduction des autorisati­ons. Elles se sont liguées pour proposer et obtenir, début décembre, un amendement au projet de loi 102 et au futur article 27 de la LQE qui annule totalement toute avancée sur l’accès à l’informatio­n et qui perpétuera notre retard reconnu en cette matière. Avec l’amendement proposé par les représenta­nts du Parti libéral en commission parlementa­ire, on accorde aux demandeurs d’autorisati­on un droit de veto complet sur le droit du public de connaître les conditions d’autorisati­on d’un projet ainsi que sur les documents et analyses ayant justifié leur autorisati­on. Cet amendement inscrit pour la première fois dans la LQE des restrictio­ns de ladite «Loi sur l’accès à l’informatio­n» qui datent de 1982 et qui ont constitué les principale­s barrières à l’obtention de l’informatio­n environnem­entale, comme l’ont démontré de nombreux rapports gouverneme­ntaux et autres. La modernisat­ion recherchée de la LQE ne peut être atteinte en y inscrivant des dispositio­ns vieilles de plus de 35 ans et adoptées avant la reconnaiss­ance du concept de développem­ent durable. Oui, l’économie doit être prise en compte, mais les facteurs sociaux et environnem­entaux aussi !

Nous craignons qu’avec la grève des juristes de l’État, cet amendement n’ait pas été scruté et examiné avec tout le soin requis et que son effet pratique sera de perpétuer la culture du secret qui avantage les demandeurs d’autorisati­ons au détriment des citoyens. Avec la réforme proposée par le projet de loi 102, non seulement le nombre d’autorisati­ons sera réduit, mais nous verrons aussi réduite l’informatio­n environnem­entale disponible au public. L’opacité du nouveau régime ne renforcera pas la confiance du public dans le processus d’autorisati­on et risque plutôt de remettre en question l’acceptabil­ité sociale de plusieurs projets. […]

Depuis 1978, la LQE reconnaît le droit à la qualité de l’environnem­ent et celui de tout citoyen de pouvoir prendre une injonction pour faire respecter les conditions d’autorisati­on. Ce droit est tout à fait illusoire si, comme avec l’amendement adopté, les conditions d’autorisati­on demeurent secrètes au gré de la volonté des entreprise­s. Le cynisme face à la politique et à l’État de droit ne pourra que grandir si cet amendement n’est pas retiré. Vous devez reconnaîtr­e que l’accès du public à l’informatio­n constitue l’une des pierres d’assise d’un régime moderne d’autorisati­on environnem­entale, de même que le fondement de l’exercice du droit à un environnem­ent sain aujourd’hui reconnu dans notre Charte. […]

Les personnes et organismes soussignés vous demandent donc aujourd’hui de vous assurer que l’équilibre délicat entre les intérêts économique­s, sociaux et environnem­entaux se reflète davantage dans le projet de loi 102 et que les avancées promises pour la population du Québec concernant son droit d’accès à l’informatio­n des conditions d’autorisati­on soient réintrodui­tes dans le projet de loi.

*Lettre signée par une centaine de personnali­tés du monde juridique et universita­ire, et de groupes environnem­entaux, dont on trouvera la liste sur notre site Web.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Avec la modificati­on proposée à la Loi sur la qualité de l’environnem­ent, les demandeurs d’autorisati­on obtiendrai­ent un droit de veto complet sur le droit du public de connaître les conditions d’autorisati­on d’un projet, affirment les auteurs de la...

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