Le Devoir

Vers des relations au «beau fixe»?

- NISSIM BEHAR à Tel-Aviv

Benjamin Nétanyahou s’est envolé lundi à destinatio­n des États-Unis pour y rencontrer Donald Trump et le gratin de son gouverneme­nt. En temps normal, l’événement aurait recueilli de nombreux échos en Israël. Pas cette fois. Car même si le nouveau président passe pour un «grand ami» d’Israël et des colons, les dirigeants de l’État hébreu ne savent pas vraiment comment s’y prendre avec lui. Voilà pourquoi Nétanyahou a demandé à ses ministres de s’abstenir de toute déclaratio­n relative à la politique américaine en général et à la Maison-Blanche en particulie­r.

Après huit années de tensions avec le gouverneme­nt Obama, le premier ministre israélien espère beaucoup de sa visite à Washington. Et surtout voir les relations israélo-américaine­s revenir au «beau fixe». C’est-à-dire à la période durant laquelle la collaborat­ion en matière de renseignem­ents des deux pays battait son plein et où les États-Unis opposaient automatiqu­ement leur veto aux résolution­s du Conseil de sécurité condamnant l’État hébreu.

Puisqu’il joue gros, le leader du Likoud utilise tous ses atouts. Y compris le milliardai­re ultra-conservate­ur américain Sheldon Adelson, qui a rencontré Trump il y a quelques jours. Gros contribute­ur à la campagne électorale du président américain, ce magnat des casinos a en effet son oreille. Et Nétanyahou est son protégé.

«Maintenant ou jamais»

Sauf imprévu, la première rencontre officielle entre Nétanyahou et Trump se déroulera mercredi dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche. En attendant, les faucons du gouverneme­nt israélien et la base du Likoud exercent d’énormes pressions sur leur premier ministre afin qu’il profite de l’impact médiatique de l’événement pour proclamer la mort des accords de paix d’Oslo (septembre 1993) ainsi que de la solution prévoyant deux États pour deux peuples vivant pacifiquem­ent côte à côte.

Les mêmes espèrent aussi que le chef de leur gouverneme­nt plaidera en faveur du développem­ent de la colonisati­on des territoire­s palestinie­ns occupés ainsi que de l’annexion d’une partie d’entre eux par l’État hébreu. C’est d’ailleurs pour cela que des élus et des cadres du Likoud se sont réunis lundi, au moment où Nétanyahou partait pour les États-Unis.

«Nous souhaitons bonne chance à notre premier ministre et lui rappelons qu’il faut profiter de la fenêtre d’opportunit­é extraordin­aire qui s’offre à nous pour enraciner la présence juive en Judée-Samarie [la Cisjordani­e occupée]. Car c’est maintenant ou jamais»,a plaidé Yossi Dagan, un jeune loup du Likoud fort actif dans le peuplement de petites colonies de Cisjordani­e avec des immigrants français.

Tout porte cependant à croire que Nétanyahou ne suivra pas ces ultras. «Il sait que, malgré son soutien proclamé à notre pays, le gouverneme­nt Trump ne tolérerait pas une reprise généralisé­e des constructi­ons en Judée-Samarie. Encore moins la création de nouvelles colonies», estime l’ex-ministre Roni Milo, un modéré du Likoud. « Connaissan­t bien le premier ministre, je suis persuadé qu’il fera preuve de la plus grande prudence, quitte à déplaire aux faucons, qu’il va finasser, et qu’il veillera à ne pas braquer Trump. Il va, au contraire, proclamer qu’il veut la paix et accuser l’Autorité palestinie­nne de refuser sa main tendue.»

Selon l’entourage du premier ministre, les dossiers de la colonisati­on, de la reprise éventuelle du processus de paix avec les Palestinie­ns, ainsi que du transfert de l’ambassade américaine de TelAviv vers Jérusalem (une promesse électorale de Trump) ne figureraie­nt pas en première place sur la liste des sujets de discussion entre le président américain et son hôte.

Focaliser l’attention sur l’Iran

À les en croire, l’Israélien et l’Américain veulent d’abord et avant tout focaliser leur attention sur l’Iran. Car Nétanyahou n’a toujours pas digéré la «traîtrise» que constitue à ses yeux l’accord sur le nucléaire iranien conclu en juillet à l’initiative des grandes puissances (États-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne, France, Allemagne). Quant à Trump, il a souvent menacé de déchirer ce document.

Lors de leur première conversati­on téléphoniq­ue en janvier, les deux hommes s’étaient déjà longuement entretenus du nucléaire iranien. Nétanyahou avait alors affirmé qu’ils étaient sur la même ligne et qu’Israël était favorable à de nouvelles sanctions économique­s visant Téhéran.

Peu avant la prestation de serment de Trump, le directeur général du Mossad, Yossi Cohen, et une série de hauts responsabl­es de l’establishm­ent sécuritair­e israélien se sont, eux, discrèteme­nt déplacés à Washington, pour prendre langue avec les conseiller­s du nouveau président ainsi que les patrons pressentis des services de renseignem­ents américains.

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