Les chantiers du bonheur
Le CCA propose une exposition sur le travail de l’architecte Cedric Price
On estime qu’environ 1800 ouvriers sont décédés à ce jour durant la construction du stade d’alWakrah, au Qatar, en prévision de la Coupe du monde de 2022. En 2013, le journal français Le Monde publiait un reportage sur les conditions de travail sur le chantier, rapportant que les ouvriers travaillaient onze heures par jour, six jours par semaine, par une chaleur de 50 degrés Celsius.
Lorsqu’on l’a interrogée sur cette hécatombe, Zaha Hadid, l’architecte des lieux, avait déclaré que ces morts ne la concernaient pas et que les conditions de travail de ces travailleurs relevaient plutôt de la responsabilité du gouvernement.
Pourtant, il y a plus de 40 ans, l’architecte anglais Cedric Price avait consacré tout un rapport aux conditions de vie des travailleurs sur les chantiers, ainsi qu’à l’impact de ces chantiers temporaires sur la population en général.
Dans un effort de mise en valeur de ses prestigieuses archives, le Centre canadien d’architecture (CCA) présente l’exposition Et si on parlait de bonheur sur le chantier?, une plongée dans la pensée de Cedric Price.
En fait, c’est Alistair McAlpine qui a commandé ce rapport à Price, en 1973, alors que la Grande-Bretagne était paralysée par les grèves des ouvriers sur les chantiers de construction.
Price a réfléchi alors à tous les aspects de la vie sur les chantiers, de la nourriture que les ouvriers mangent aux lumières qui les éclairent, en passant par les modules démontables qui les accompagnent dans leurs travaux. Price se penche autant sur les problèmes de sécurité des ouvriers que sur leurs problèmes de stress. Il s’intéresse aussi à la façon de limiter les inconvénients des chantiers sur les passants, sur le plan sonore comme sur le plan des déplacements. Le rapport propose même une façon de coordonner les différents chantiers d’une même ville, et les faisant disposer d’une cantine commune, par exemple.
Clin d’oeil au nom de l’entreprise qui l’a commandé, le rapport s’intitule rapport McAppy.
Derrière l’édifice
Pourtant, plus de quatre décennies plus tard, l’application de ses recommandations n’est pas la norme dans le milieu architectural.
Pour Giovanna Borasi, conservatrice en chef du CCA, et pour André Tavares, commissaire portugais invité, l’architecte ne doit pas se contenter de créer de belles façades, il doit aussi se préoccuper des conditions de vie de ceux qui érigent l’édifice. Pour eux, le chantier ne devrait pas être uniquement un mauvais moment à passer avant la fin des travaux.
À titre d’exemple, Mme Borasi évoque le récent concours tenu pour le choix du design du chantier qui occupera la rue Sainte-Catherine, au cours des prochaines années. Le concours, intitulé «Vivre le chantier Sainte-Cath!», a désigné la compagnie Kanva architecture comme maître d’oeuvre des lieux. Les immenses structures gonflables qui recouvriront la rue, sur et sous lesquelles se déroulera une animation continue, devraient servir, entre autres objectifs, à maintenir la fréquentation des commerces environnants pendant les travaux.
La Ville de Montréal a cependant déjà annoncé son intention de demander à l’entrepreneur de maintenir le chantier ouvert 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, pour éviter que les travaux durent trop longtemps.
ET SI ON PARLAIT DE BONHEUR SUR LE CHANTIER? À la salle octogonale du CCA jusqu’au 14 mai