Un ancien général et son péché
Ce que révèle le départ du conseiller à la sécurité nationale des États-Unis Micheal Flynn
Une démission peut régler une affaire et permettre de passer à autre chose. Celle du conseiller à la sécurité nationale des États-Unis Michael T. Flynn ne semble pas signaler la fin, mais plutôt le tournant d’un problème qui pourrait s’amplifier dans les semaines et les mois à venir pour le gouvernement Trump.
Tandis que le porte-parole de la MaisonBlanche a confirmé mardi que le président avait exigé la démission de l’ancien général, de nouvelles révélations font comprendre que des policiers fédéraux ont interrogé M. Flynn quelques jours après sa nomination. La rencontre portait précisément sur ses conversations avec l’ambassadeur de Russie à Washington, échanges qui ont finalement entraîné sa perte.
Le détail des interrogatoires reste secret, mais les agents du Bureau fédéral d’investigation (FBI) en auraient conclu que le conseiller à la sécurité leur cachait des informations. Ce mensonge, s’il s’avère, pourrait entraîner des poursuites judiciaires pour l’ancien militaire.
En fait, les demandes d’éclaircissements, y compris par l’entremise d’enquêtes, ne cessent de se manifester dans les cercles médiatiques et politiques, y compris républicains. Qui savait
quoi et depuis quand ? demandent les commentateurs et des élus.
Surtout, la démission enténèbre les relations russo-américaines, déjà assombries par l’implication probable de la Russie dans la dernière élection présidentielle américaine.
D’un côté, les relations entre les deux géants semblent refroidies comme au temps de la guerre froide, une situation glaciale amorcée sous la présidence d’Obama. D’un autre côté, plusieurs indices, dont les déclarations du président Trump, laissent parfois deviner une volonté de rapprochement, voire de détente.
«Je suis perplexe, confus, perdu, avoue CharlesPhilippe David, président de l’observatoire sur les États-Unis de l’UQAM. Oui, ça va de mal en pis depuis que Poutine se prend pour un tsar. On est loin du reset, on est plus dans le rejet.»
Il ajoute que le gouvernement Trump affiche un des pires départs depuis des décennies. « Il n’est pas organisé. Il improvise. Il patine dans la semoule, dit-il. Il laisse tout le monde perplexe et dubitatif dans ses rapports avec la Russie. On ne sait pas vraiment où il s’en va. Je pense que Trump lui-même n’a pas une idée très claire de ce qu’il veut faire avec Poutine, une fois qu’il a dit que c’est un bon gars et qu’il peut faire affaire avec lui. »
Un poste stratégique
Cela dit, pour le spécialiste, le départ de M. Flynn constitue une bonne nouvelle. « Michael Flynn n’était pas la bonne personne pour diriger le Conseil de sécurité nationale [NSC, selon l’acronyme anglais], dit-il. Cet organisme est le plus important au sein du gouvernement pour diriger et fabriquer la politique étrangère des États-Unis.»
Le conseiller à la sécurité renseigne et avise le président sur toutes les questions relatives à la politique étrangère, la sécurité et la stratégie militaire du pays. Il est de facto le plus important membre du Conseil de sécurité nationale.
Charles-Philippe David s’intéresse en savant au National Security Council depuis son mémoire de maîtrise déposé en 1979. Il vient de faire paraître la troisième édition de son analyse Au sein de la Maison-Blanche (Sciences Po), unique livre en français sur le rôle du président (de Truman à Obama) dans la formulation de la politique étrangère des États-Unis.
«À mon avis, le poste de conseiller à la sécurité nationale est plus important que celui de secrétaire d’État ou de secrétaire à la défense», poursuit le fondateur de la Chaire Raoul-Dandurand. Il ajoute que le démissionnaire avait pris ombrage d’être devenu moins important comme éminence grise que d’autres proches du président, dont Steve Bannon, nommé aussi au Conseil de sécurité.
Un prétexte
Le lieutenant-général Flynn est arrivé à ce poste capital après avoir tenu des positions fermes, sur le terrorisme notamment. La chute du conseiller surpuissant a commencé jeudi dernier quand le Washington Post a confirmé qu’il avait discuté des sanctions imposées par les États-Unis à la Russie par l’ancien président Obama dans le cadre d’une conversation avec l’ambassadeur russe à Washington. Michael Flynn et Sergey Kislyak ont échangé au téléphone
le 29 décembre, au lendemain des sanctions présidentielles.
Le Washington Post avait évoqué la conversation au début de l’année. De nouvelles sources au sein des services de renseignements, basées sur des enregistrements des conversations, ont bétonné son scoop. M. Flynn avait d’abord nié avoir parlé des sanctions, tout comme Moscou, soupçonné depuis de pouvoir le faire chanter.
Le conseiller du président a ensuite changé sa version. Dans sa lettre de démission, lundi, il évoquait de l’«information incomplète» transmise entre autres au vice-président.
«D’avoir parlé à l’ambassadeur est pour moi un prétexte utile pour avoir forcé sa démission, dit le professeur David. Je pense qu’il y avait des enjeux internes plus importants. Il ne contrôlait pas son organisation. Il avait la même mauvaise réputation quand il était directeur du renseignement national, sous Obama. C’est un piètre gestionnaire.»
Encore huit ans?
Son remplaçant par intérim, le général Keith Kellogg, lui semble d’un meilleur bois. « Mais la résistance à l’intérieur du NSC devient évidente. Il y a une bonne centaine de serviteurs du président dans l’agence qui ont pris M. Flynn en grippe en le jugeant incompétent pour le poste. Regardez les fuites depuis deux semaines. On a eu droit à des fuites sur le Yémen et l’Australie en passant par la Russie. »
Michael Flynn est le deuxième haut gradé du nouveau gouvernement à quitter ses fonctions peu après sa désignation en raison de liens jugés trop étroits avec la Russie. Paul Manafort, ancien président de la campagne de Donald Trump, a quitté son entourage après des révélations de ses liens avec des responsables prorusses en Ukraine.
« Au train où vont les choses, on va être occupé pendant les trois prochaines années et dix mois, comme ça ne se peut pas », conclut le professeur David. Peut-être même pour sept ans et dix mois de plus, si Donald Trump est élu pour un deuxième mandat…