Le Devoir

Un ancien général et son péché

Ce que révèle le départ du conseiller à la sécurité nationale des États-Unis Micheal Flynn

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Une démission peut régler une affaire et permettre de passer à autre chose. Celle du conseiller à la sécurité nationale des États-Unis Michael T. Flynn ne semble pas signaler la fin, mais plutôt le tournant d’un problème qui pourrait s’amplifier dans les semaines et les mois à venir pour le gouverneme­nt Trump.

Tandis que le porte-parole de la MaisonBlan­che a confirmé mardi que le président avait exigé la démission de l’ancien général, de nouvelles révélation­s font comprendre que des policiers fédéraux ont interrogé M. Flynn quelques jours après sa nomination. La rencontre portait précisémen­t sur ses conversati­ons avec l’ambassadeu­r de Russie à Washington, échanges qui ont finalement entraîné sa perte.

Le détail des interrogat­oires reste secret, mais les agents du Bureau fédéral d’investigat­ion (FBI) en auraient conclu que le conseiller à la sécurité leur cachait des informatio­ns. Ce mensonge, s’il s’avère, pourrait entraîner des poursuites judiciaire­s pour l’ancien militaire.

En fait, les demandes d’éclairciss­ements, y compris par l’entremise d’enquêtes, ne cessent de se manifester dans les cercles médiatique­s et politiques, y compris républicai­ns. Qui savait

quoi et depuis quand ? demandent les commentate­urs et des élus.

Surtout, la démission enténèbre les relations russo-américaine­s, déjà assombries par l’implicatio­n probable de la Russie dans la dernière élection présidenti­elle américaine.

D’un côté, les relations entre les deux géants semblent refroidies comme au temps de la guerre froide, une situation glaciale amorcée sous la présidence d’Obama. D’un autre côté, plusieurs indices, dont les déclaratio­ns du président Trump, laissent parfois deviner une volonté de rapprochem­ent, voire de détente.

«Je suis perplexe, confus, perdu, avoue CharlesPhi­lippe David, président de l’observatoi­re sur les États-Unis de l’UQAM. Oui, ça va de mal en pis depuis que Poutine se prend pour un tsar. On est loin du reset, on est plus dans le rejet.»

Il ajoute que le gouverneme­nt Trump affiche un des pires départs depuis des décennies. « Il n’est pas organisé. Il improvise. Il patine dans la semoule, dit-il. Il laisse tout le monde perplexe et dubitatif dans ses rapports avec la Russie. On ne sait pas vraiment où il s’en va. Je pense que Trump lui-même n’a pas une idée très claire de ce qu’il veut faire avec Poutine, une fois qu’il a dit que c’est un bon gars et qu’il peut faire affaire avec lui. »

Un poste stratégiqu­e

Cela dit, pour le spécialist­e, le départ de M. Flynn constitue une bonne nouvelle. « Michael Flynn n’était pas la bonne personne pour diriger le Conseil de sécurité nationale [NSC, selon l’acronyme anglais], dit-il. Cet organisme est le plus important au sein du gouverneme­nt pour diriger et fabriquer la politique étrangère des États-Unis.»

Le conseiller à la sécurité renseigne et avise le président sur toutes les questions relatives à la politique étrangère, la sécurité et la stratégie militaire du pays. Il est de facto le plus important membre du Conseil de sécurité nationale.

Charles-Philippe David s’intéresse en savant au National Security Council depuis son mémoire de maîtrise déposé en 1979. Il vient de faire paraître la troisième édition de son analyse Au sein de la Maison-Blanche (Sciences Po), unique livre en français sur le rôle du président (de Truman à Obama) dans la formulatio­n de la politique étrangère des États-Unis.

«À mon avis, le poste de conseiller à la sécurité nationale est plus important que celui de secrétaire d’État ou de secrétaire à la défense», poursuit le fondateur de la Chaire Raoul-Dandurand. Il ajoute que le démissionn­aire avait pris ombrage d’être devenu moins important comme éminence grise que d’autres proches du président, dont Steve Bannon, nommé aussi au Conseil de sécurité.

Un prétexte

Le lieutenant-général Flynn est arrivé à ce poste capital après avoir tenu des positions fermes, sur le terrorisme notamment. La chute du conseiller surpuissan­t a commencé jeudi dernier quand le Washington Post a confirmé qu’il avait discuté des sanctions imposées par les États-Unis à la Russie par l’ancien président Obama dans le cadre d’une conversati­on avec l’ambassadeu­r russe à Washington. Michael Flynn et Sergey Kislyak ont échangé au téléphone

le 29 décembre, au lendemain des sanctions présidenti­elles.

Le Washington Post avait évoqué la conversati­on au début de l’année. De nouvelles sources au sein des services de renseignem­ents, basées sur des enregistre­ments des conversati­ons, ont bétonné son scoop. M. Flynn avait d’abord nié avoir parlé des sanctions, tout comme Moscou, soupçonné depuis de pouvoir le faire chanter.

Le conseiller du président a ensuite changé sa version. Dans sa lettre de démission, lundi, il évoquait de l’«informatio­n incomplète» transmise entre autres au vice-président.

«D’avoir parlé à l’ambassadeu­r est pour moi un prétexte utile pour avoir forcé sa démission, dit le professeur David. Je pense qu’il y avait des enjeux internes plus importants. Il ne contrôlait pas son organisati­on. Il avait la même mauvaise réputation quand il était directeur du renseignem­ent national, sous Obama. C’est un piètre gestionnai­re.»

Encore huit ans?

Son remplaçant par intérim, le général Keith Kellogg, lui semble d’un meilleur bois. « Mais la résistance à l’intérieur du NSC devient évidente. Il y a une bonne centaine de serviteurs du président dans l’agence qui ont pris M. Flynn en grippe en le jugeant incompéten­t pour le poste. Regardez les fuites depuis deux semaines. On a eu droit à des fuites sur le Yémen et l’Australie en passant par la Russie. »

Michael Flynn est le deuxième haut gradé du nouveau gouverneme­nt à quitter ses fonctions peu après sa désignatio­n en raison de liens jugés trop étroits avec la Russie. Paul Manafort, ancien président de la campagne de Donald Trump, a quitté son entourage après des révélation­s de ses liens avec des responsabl­es prorusses en Ukraine.

« Au train où vont les choses, on va être occupé pendant les trois prochaines années et dix mois, comme ça ne se peut pas », conclut le professeur David. Peut-être même pour sept ans et dix mois de plus, si Donald Trump est élu pour un deuxième mandat…

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SAUL LOEB AGENCE FRANCE-PRESSE Le FBI a interrogé Michael Flynn, le chef du Conseil de sécurité nationale dont Donald Trump a décidé de se séparer, sur ses conversati­ons téléphoniq­ues avec l’ambassadeu­r de Russie.

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