Le Devoir

Actualités › L’intérêt des principes. La chronique de Michel David.

- mdavid@ledevoir.com MICHEL DAVID

La dissidence à retardemen­t de Charles Taylor rend aujourd’hui le même service au gouverneme­nt que l’avait fait Renaud Lachance en se dissociant du rapport de la commission Charbonnea­u. Dans les deux cas, ce qui s’apparente à un acte de sabotage lui permet de justifier son inaction.

À en croire son ancienne députée Fatima Houda-Pepin, M. Couillard lui avait même prédit il y a plusieurs années que M. Taylor reviendrai­t éventuelle­ment sur ses positions, ce qui aurait pour effet de cautionner les siennes. Le moins qu’on puisse dire est qu’il a bien choisi son moment.

Le rapport qu’il avait signé conjointem­ent avec Gérard Bouchard en 2008 ouvrait bel et bien la porte à une éventuelle révision de sa recommanda­tion d’interdire le port de signes religieux dans le cas des agents de l’État qui détiennent un pouvoir de coercition, comme les juges, les policiers et les gardiens de prison. «On peut considérer que cette propositio­n est la plus appropriée dans le contexte actuel de la société québécoise, étant bien entendu que ce contexte peut changer avec le temps », pouvait-on y lire.

C’est précisémen­t ce nouveau contexte qu’invoquait M. Taylor dans un texte publié mardi dans La Presse +, sous le titre «Le temps de la réconcilia­tion». Selon lui, le débat sur la charte de la laïcité a eu un effet de stigmatisa­tion qu’il ne faut pas renouveler au moment où le drame de la grande mosquée de Québec a provoqué une «grande explosion de solidarité» avec la communauté musulmane.

M. Taylor a droit à son opinion, mais il suffit de voir ce qui se dit dans les médias sociaux et les lignes ouvertes pour mesurer les limites de la solidarité qu’il évoque. Il faut être bien optimiste pour croire qu’une attitude de laisser-aller permettra aux «déchirures du tissu social» qu’il évoque de se recoudre d’elles-mêmes.

«La séparation entre l’Église et l’État doit s’incarner, selon plusieurs, dans certains symboles, en l’occurrence dans l’apparence des agents qui occupent des postes qui représente­nt de façon tangible les différents pouvoirs de l’État. Cette attente nous apparaît raisonnabl­e », pouvait-on également lire dans le rapport de la commission Bouchard-Taylor. La charte de la laïcité était sans doute excessive et le drame de Québec a indéniable­ment frappé les esprits, mais en quoi ont-ils rendu cette attente déraisonna­ble ?

Interdire le port de signes religieux aux seuls agents de l’État en position de coercition «représente le meilleur équilibre pour la société québécoise », ajoutaient les auteurs du rapport. En neuf ans, la société québécoise a sans doute évolué, mais est-ce à dire qu’une telle interdicti­on provoquera­it maintenant un déséquilib­re ?

Qu’on soit philosophe ou premier ministre, avoir des principes ne signifie pas nécessaire­ment avoir raison. La suffisance avec laquelle M. Couillard s’érige en juge du niveau de tolérance des uns et des autres, qu’il accuse de ternir la réputation du Québec, relève plutôt d’un complexe de supériorit­é morale.

Tout le monde reconnaît qu’il s’est comporté avec la dignité et l’humanisme qu’on attend d’un chef d’État dans les jours qui ont suivi les tragiques événements de Québec, mais force est de s’interroger sur la sincérité de ses appels à plus de modération dans le débat. Mercredi, à l’Assemblée nationale, il semblait à deux doigts d’accuser le PQ d’être responsabl­e du climat d’intoléranc­e dans lequel s’est inscrit l’attentat de Québec.

En politique, il est facile de confondre ses principes et ses intérêts. Le compromis auquel en sont arrivés le PQ, la CAQ et Québec solidaire, dont les positions ont longtemps paru inconcilia­bles, aurait le mérite de mettre un terme, au moins temporaire­ment, à un débat qui a trop duré. En se montrant aussi intransige­ant, M. Couillard donne plutôt l’impression de vouloir le poursuivre.

Le premier ministre dit vouloir empêcher une «dérive discrimina­toire» qui, après les policiers et les juges, étendrait l’interdicti­on du port de signes religieux aux enseignant­s et éventuelle­ment aux baigneuses. Précisémen­t, si l’Assemblée nationale adoptait à l’unanimité un projet de loi traçant clairement la ligne, un nouveau gouverneme­nt y penserait à deux fois avant de rouvrir la boîte de Pandore.

En refusant toute concession, M. Couillard fait en sorte que le débat s’envenime au cours des prochains mois et que la prochaine campagne électorale donne lieu à une surenchère qu’il se fera un devoir de dénoncer avec la dernière énergie. En raison de ses principes, bien entendu.

Comme pour mieux faire traîner les choses, le gouverneme­nt a décidé d’accorder la préséance au projet de loi 98, qui vise à réglemente­r les ordres profession­nels, mais dont il a soudaineme­nt découvert qu’il pouvait favoriser l’intégratio­n des immigrants au travail. L’étude du projet de loi 62 sur la neutralité religieuse de l’État risque donc d’être reportée à l’automne, alors qu’on entrera dans l’année électorale. Avec un peu de chance, tout devrait alors être en place pour un nouveau psychodram­e.

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