La rafle des années 1960, toujours d’actualité ?
Une décision de la Cour supérieure de l’Ontario vient de jeter un nouvel éclairage sur un aspect encore méconnu du traitement réservé aux peuples autochtones. Lorsque les pensionnats ont commencé à fermer leurs portes, dans les années 1950 et 1960, les services de protection de la jeunesse des différentes provinces ont graduellement étendu leurs activités dans les communautés autochtones. Ce processus était animé de la même philosophie d’assimilation que les pensionnats: les enfants autochtones seraient mieux servis s’ils étaient séparés de leurs parents. Le résultat a été le retrait massif d’enfants autochtones de leur famille et de leur communauté, pour qu’ils soient placés en adoption. Dans de nombreux cas, on a caché à l’enfant son origine autochtone. C’est ce qu’on a appelé la «rafle des années 1960», même si cette pratique s’est poursuivie durant les années 1970. Aujourd’hui, l’expérience et des études universitaires démontrent que, dans bien des cas, ces adoptions n’ont pas été bénéfiques et ont provoqué une crise identitaire à une étape ultérieure de la vie des enfants concernés.
Dans le jugement rendu cette semaine, le tribunal a condamné l’inaction du gouvernement fédéral, qui avait délégué aux provinces la responsabilité de la protection de la jeunesse sans prendre les mesures nécessaires pour assurer la transmission de l’identité et de la culture aux enfants autochtones placés dans des familles d’accueil ou adoptés par des nonautochtones. Or, si les pensionnats sont chose du passé, les régimes provinciaux de protection de la jeunesse sont toujours appliqués aux peuples autochtones. Le jugement rendu cette semaine devrait donc nous forcer à réfléchir aux pratiques actuelles. Faisons-nous encore ce qui a conduit à la condamnation du gouvernement fédéral ?
La triste réalité, c’est que les enfants autochtones sont toujours surreprésentés au sein des régimes de protection de la jeunesse. Au Québec, une étude récente a montré que les enfants autochtones sont trois fois plus susceptibles de faire l’objet d’un signalement retenu, quatre fois plus susceptibles d’être jugés en situation de compromission et cinq fois et demie plus susceptibles d’être placés que les enfants non autochtones. Des enfants autochtones sont toujours placés en grand nombre dans des familles d’accueil non autochtones, même si l’on commence à prendre conscience des effets à long terme de cette pratique. C’est ce qui a fait dire à la Commission de vérité et réconciliation que «les services de protection de l’enfance du Canada ne font que poursuivre le processus d’assimilation entamé sous le régime des pensionnats indiens».
De plus, le Tribunal canadien des droits de la personne a conclu, en janvier 2016, que le financement fédéral des services de protection de la jeunesse pour les peuples autochtones était insuffisant et discriminatoire sous plusieurs aspects. Il a tranché qu’une réforme globale du système était nécessaire.
Des ajustements à la Loi sur la protection de la jeunesse sont actuellement à l’étude à l’Assemblée nationale. Même si l’on y trouve quelques éléments positifs, ils paraissent bien minces lorsqu’on les compare à certaines initiatives adoptées ailleurs.
Par exemple, la loi ontarienne contient déjà des directives spécifiques visant à éviter le placement d’enfants autochtones dans des familles d’accueil non autochtones. L’intérêt de l’enfant autochtone doit être évalué en tenant compte de la nécessité de préserver son identité culturelle. Les communautés doivent être consultées par les services de protection de l’enfance. Aux États-Unis, une loi fédérale adoptée en 1978 reconnaît la compétence des peuples autochtones en matière de protection de la jeunesse. De nombreux peuples autochtones ont mis en place leurs propres lois et leurs propres tribunaux dans ce domaine. Au Québec, la loi prévoit depuis plus de quinze ans la possibilité de conclure des ententes d’autonomie, mais rien n’a encore été signé.
Le jugement concernant la rafle des années 1960 devrait nous faire prendre conscience de l’urgence d’une réforme globale du système de protection de la jeunesse pour les peuples autochtones. L’autonomie des peuples autochtones devrait être au coeur de cette réforme.
La triste réalité, c’est que les enfants autochtones sont toujours surreprésentés au sein des régimes de protection de la jeunesse