Le Devoir

Le moule canadien

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Après dix ans de débats parfois acerbes sur la laïcité de l’État et les accommodem­ents religieux, Philippe Couillard, avec ce minimum «consensuel» que représente, selon lui, le projet de loi 62, abdique sa responsabi­lité de proposer un projet cohérent de laïcité de l’État pour le Québec.

Philippe Couillard a confirmé qu’il ne dérogerait pas à ce qu’il appelle ses principes. Il s’en tiendra au projet de loi 62 sur la neutralité religieuse de l’État que son gouverneme­nt a présenté il y a 20 mois. Le premier ministre a rejeté le compromis auquel les trois autres partis à l’Assemblée nationale étaient prêts à se rallier, c’est-à-dire d’ajouter au projet de loi 62 la recommanda­tion de la commission Bouchard-Taylor d’interdire aux agents de l’État exerçant un pouvoir de coercition — les juges, les policiers et les gardiens de prison — de porter des signes religieux.

Philippe Couillard a affirmé qu’il s’était toujours opposé à la «discrimina­tion vestimenta­ire». Selon lui, il faut choisir entre l’exclusion et l’inclusion. Il faut éviter « une dérive discrimina­toire» qui mènerait de la police aux enseignant­s et des enseignant­s à la plage, une allusion à l’interdicti­on du burkini dans l’espace public.

Cet argument est spécieux. C’est comme dire que le vol à l’étalage conduit au vol par effraction, qui conduit au vol à main armée, qui conduit au meurtre. Qui plus est, les juges, les policiers ou les gardiens de prison sont forcés de porter toges ou uniformes: ne brime-t-on pas leur droit de se vêtir à leur guise ?

La ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, aimait bien parler de la «charte du linge» péquiste, mais il ne faut pas croire que le projet de loi 62 ne fait aucune «discrimina­tion vestimenta­ire». En vertu de la règle du visage découvert, les vêtements que sont le niqab ou la burqa sont interdits au moment de fournir ou de recevoir des services publics. Comment une telle dispositio­n s’appliquera-t-elle aux patientes dans les hôpitaux ? pourrait-on demander au médecin premier ministre.

Minimalist­e, le projet de loi 62 l’est assurément. Plus grave encore, il est incomplet. Le projet de loi ne parle pas de laïcité mais d’une notion qui en fait partie: la neutralité religieuse de l’État. Il ne souffle mot sur un des principes sur lesquels s’appuient les démocratie­s modernes: la séparation de l’Église et de l’État. En matière d’accommodem­ents, il se contente de confirmer l’état du droit canadien.

On pourrait déplorer un manque de vision, mais il ne s’agit pas de cela. En matière de laïcité, Philippe Couillard se soumet totalement à la vision canadienne que conditionn­e le multicultu­ralisme. Peu importe si ce multicultu­ralisme, imposé par Pierre Elliott Trudeau, visait à en finir avec les velléités binational­es des Canadiens français et des Québécois. Selon Philippe Couillard, le Québec ne saurait définir sa propre conception de la laïcité. Il ne peut choisir un modèle de diversité qui se distingue de ses voisins en Amérique du Nord. En matière de laïcité, c’est «canadian first and foremost», pour reprendre l’expression de Daniel Johnson fils.

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ROBERT DUTRISAC

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