Le Devoir

La Libye dans l’impasse six ans après sa révolte populaire

- IMED LAMLOUM à Tripoli

Insécurité record, économie en lambeaux et rivalités politiques: la Libye reste engluée dans une interminab­le crise de transition six ans après le début de la révolte ayant mis fin à la dictature de Mouammar Kadhafi.

«On s’est débarrassé d’un dictateur pour en voir apparaître 10 000 à sa place», se révolte Fatma al-Zawi, une habitante de Tripoli, en faisant allusion aux seigneurs de guerre et à leurs milices qui font la loi dans le pays depuis 2011.

Comme cette mère de famille quadragéna­ire, la plupart des Libyens semblent peu enthousias­tes pour fêter l’anniversai­re de la révolution. Les autorités ont pourtant prévu un programme d’activités sportives et culturelle­s sur la place des martyrs à Tripoli.

Il s’agit de célébrer la révolte déclenchée le 17 février 2011 dans la foulée du Printemps arabe, et qui s’était transformé­e en conflit meurtrier ayant conduit à la chute du régime de Mouammar Kadhafi, huit mois plus tard.

Dans la capitale comme ailleurs, la vie quotidienn­e est devenue une épreuve avec les pénuries d’électricit­é, de carburant et d’eau, la crise des liquidités et la dévaluatio­n sans précédent de la monnaie nationale, mais aussi les violences.

Les autorités se montrent incapables d’assurer les services de base, car elles sont paralysées depuis six ans par les luttes d’influence sans merci entre tribus, courants politiques ou idéologies.

«Les protagonis­tes n’ont pas compris qu’aucun courant idéologiqu­e ou clan politique ou tribal ne pouvait gouverner le pays tout seul après Kadhafi, explique Rachid Khechana, directeur du Centre maghrébin d’études sur la Libye (CMEL) basé à Tunis. Le pays n’était pas prêt à une compétitio­n démocratiq­ue classique.»

En l’absence de forces de sécurité régulières, ce riche pays pétrolier aux frontières poreuses est devenu un carrefour de contreband­e d’armes et surtout de trafic lucratif de migrants d’Afrique subsaharie­nne qui tentent la périlleuse traversée de la Méditerran­ée pour rejoindre l’Europe.

Profitant du chaos, les djihadiste­s, notamment ceux du groupe État islamique (EI), ont fait de l’immense territoire libyen un de leurs repaires, même s’ils ont perdu en décembre leur bastion de Syrte.

Prévue par un accord signé en décembre 2015 sous l’égide de l’ONU au Maroc, la formation d’un gouverneme­nt d’union nationale (GNA) avait ravivé un peu l’espoir de voir rétablir la stabilité.

Mais depuis son installati­on à Tripoli en mars 2016, cet exécutif ne fait pas toujours l’unanimité et n’arrive même pas à asseoir son autorité sur la capitale, qui est sous la coupe de dizaines de milices dont les allégeance­s et les zones de contrôle sont mouvantes.

Le GNA dirigé par Fayez al-Sarraj fait face surtout à l’hostilité de l’autorité rivale installée dans l’est du pays, où une grande partie de la région est contrôlée par les forces du maréchal controvers­é Khalifa Haftar.

«Cela fait six ans que la communauté internatio­nale s’évertue à imposer un gouverneme­nt démocratiq­ue et uni alors qu’il n’existe aucune base sur laquelle un tel exécutif peut reposer», constate Federica Saini Fasanotti, de la Brookings Institutio­n basée à Washington.

Selon elle, les Libyens doivent faire des «choix difficiles», car «leurs divisions sont le coeur même du problème». Mais «les acteurs internatio­naux semblent exacerber ces divisions», regrette-t-elle.

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