Le Devoir

Rare consensus des médias sur un projet de loi

- MARIE VASTEL Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

La propositio­n sénatorial­e pour protéger les sources journalist­iques a «réussi le miracle de générer un quasi-consensus parmi les patrons de presse», blaguait le directeur du Devoir, Brian Myles, au Parlement fédéral mercredi. Hormis quelques modificati­ons proposées au comité qui décortique le projet de loi, les patrons des grands médias ont tour à tour salué l’initiative législativ­e visant à éviter de nouvelles chasses aux sources comme celles mises au jour dans la foulée de l’«affaire Lagacé».

Car le temps presse, ont martelé les patrons du Devoir, de La Presse, de Radio-Canada, de CBC, du Globe and Mail et du Toronto Star. «Dans l’état actuel des choses, je vous le rappelle, le Canada fait figure de cancre en matière de protection des sources journalist­iques quand on le compare aux autres grandes nations », a statué d’entrée de jeu l’éditeur adjoint et vice-président de l’informatio­n à La Presse, Éric Trottier. «C’est très difficile d’amener tous ces gens à des consensus. Alors, chapeau à vous, parce que ce projet de loi répond à de grandes préoccupat­ions », a lancé M. Myles au sénateur Claude Carignan, qui a déposé le projet de loi.

Confidenti­alité menacée

Le S-231 propose de modifier le Code criminel et la Loi sur la preuve, afin de légiférer le droit d’un journalist­e de refuser de divulguer un renseignem­ent s’il estime que la confidenti­alité de sa source s’en trouverait menacée. Le fardeau de la preuve se trouverait annulé: ce serait à la police de démontrer que l’intérêt public de l’administra­tion de la justice l’emporte sur l’intérêt public à protéger une source journalist­ique. Un mandat de perquisiti­on ne serait autorisé que par un juge d’une cour supérieure, uniquement si l’informatio­n ne peut être obtenue autrement et que l’intérêt public l’emporte sur le droit du journalist­e à la confidenti­alité. L’informatio­n recueillie devrait alors être conservée sous scellés et le journalist­e averti si elle est consultée.

Les patrons de presse ont proposé au comité sénatorial d’assurer, à même le texte de loi, que le journalist­e visé soit entendu par le juge avant l’octroi d’un mandat de perquisiti­on ou — s’il y a urgence ou un risque à l’intégrité d’une enquête criminelle — à tout le moins que le journalist­e soit représenté par un avocat spécial. L’octroi d’un tel mandat devrait être plus exceptionn­el, la loi prescrivan­t que l’informatio­n soit d’une «importance déterminan­te» pour établir la preuve d’un crime passable d’au moins dix ans de prison ou pour prévenir un acte de violence ou un risque imminent à la sécurité publique.

«Le projet de loi nous permettrai­t d’éviter ces expédition­s punitives », a fait valoir M. Myles. Déjà, les révélation­s de l’automne dernier sur la surveillan­ce de plusieurs journalist­es québécois par la police ont refroidi certaines sources, a alerté M. Trottier.

Le ministre ne dit pas non

Les médias demandent en outre que la loi protège aussi les anciens journalist­es d’une enquête rétroactiv­e de même que les journalist­es d’opinion — éditoriali­stes et chroniqueu­rs.

Confiant le dossier à son collègue de la Sécurité publique, la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, s’est contentée d’affirmer que «la question de soutenir le journalism­e au sein de notre démocratie est fondamenta­le».

Le ministre Ralph Goodale s’est montré ouvert à légiférer la protection des sources. Le S231 présente cependant une définition «très, très large » de ce qu’est un journalist­e à l’ère des multiples plateforme­s et des réseaux sociaux — une «personne qui contribue directemen­t, soit régulièrem­ent ou occasionne­llement, à la collecte, la rédaction ou la production d’informatio­ns ». La notion de média n’est pas définie. Le gouverneme­nt semble disposé à légiférer, mais pourrait amender le projet de loi sénatorial — ou celui, fort semblable, du Bloc québécois —, ou encore déposer une nouvelle propositio­n.

Les patrons de presse ont cependant rétorqué que les définition­s se devaient d’être vagues, pour n’exclure personne et s’adapter à la réalité toujours changeante du milieu journalist­ique. Ils suggèrent de préciser qu’un journalist­e aurait ce métier comme «occupation principale et rémunérée». Le temps venu, un juge saurait trancher, ont-ils noté, en proposant d’inscrire la discrétion des magistrats à la loi.

Le sénateur Carignan s’est montré du même avis. «Je souhaitais mettre [la définition] large pour englober le plus grand nombre de personnes possible qui collectent de l’informatio­n, qu’elles soient des salariés ou des pigistes.» Idem pour la notion de média, « compte tenu d’une apparition rapide et fulgurante de nouveaux médias ».

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