Le Devoir

Opération sauvetage de la mission de protection

La Commission de protection du territoire agricole propose de réduire les contrainte­s sans affecter son mandat

- ISABELLE PORTER

Estimant sa mission menacée par un projet de loi sur les villes, la Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ) a proposé au ministre des Affaires municipale­s, Martin Coiteux, un compromis pour réduire les contrainte­s qu’elle impose aux villes et aux agriculteu­rs.

Les propriétai­res de terres agricoles et les villes pourraient bientôt ne plus avoir de comptes à rendre à la Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ) dans une série de circonstan­ces allant de l’installati­on d’abribus à la création de gîtes ruraux. C’est du moins ce qu’a laissé entendre la présidente de la Commission, Marie-Josée Gouin, lors d’un échange avec le ministre des Affaires municipale­s, Martin Coiteux, mercredi.

La propositio­n a émergé lors de la commission parlementa­ire sur le projet de loi 122 sur l’autonomie des municipali­tés. La CPTAQ s’est trouvée sur la défensive parce que le projet de loi 122 menace le coeur de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (LPTAA), a déploré la présidente de la commission du même nom, Marie-Josée Gouin.

L’article 185 du projet de loi «enlève à la LPTAA toute sa pertinence et sa force», a d’abord écrit la Commission dans son mémoire présenté mercredi en commission parlementa­ire. Par cet article, le gouverneme­nt se donne le droit de décider, par règlement, quels lots agricoles peuvent être utilisés à d’autres fins «sans autorisati­on de la commission».

Le ministre Coiteux dit vouloir ainsi simplifier la vie des propriétai­res et des municipali­tés. «Nous avons seulement touché aux aspects directemen­t reliés à la question de l’autonomie municipale, et encore, on aurait pu aller plus loin », a-t-il dit. « Notre intention […] c’est de nous assurer que des citoyens voient leur vie facilitée, simplifiée », a-t-il dit.

Deux autres groupes ont témoigné en faveur du respect de la mission de l’organisme

En commission parlementa­ire, la présidente de la CPTAQ s’est dite d’accord avec l’objectif, mais a proposé un autre moyen d’y parvenir. Elle a expliqué que pas moins de 16% des demandes soumises à la Commission étaient approuvées de façon quasi automatiqu­e.

Selon elle, il serait tout à fait possible de changer la Loi pour soustraire les villes et propriétai­res agricoles au sceau de la CPTAQ dans ces cas-là. Un changement majeur pour les demandeurs, qui doivent actuelleme­nt attendre de deux à trois mois avant d’obtenir une réponse, sans compter les demandes de permis auprès de la municipali­té.

Une telle modificati­on « permettrai­t aussi à la CPTAQ de concentrer ses énergies et ses ressources sur le contrôle d’activités plus significat­ives et pertinente­s à sa mission», plaide l’organisme dans son mémoire.

La CPTAQ a pour mission de protéger le territoire agricole du Québec en limitant l’empiétemen­t d’autres fonctions sur les terres. Le propriétai­re d’une terre agricole doit obtenir l’autorisati­on de la Commission pour toutes sortes de changement­s, qu’il s’agisse de construire un nouveau bâtiment, de changer l’affectatio­n de la terre ou d’aménager un salon de coiffure dans son sous-sol.

Selon Mme Gouin, la liste des exemptions inclurait par exemple des demandes pour permettre des servitudes de drainage, l’installati­on de conduites, la création d’un gîte du passant sur une ferme, des échanges parcellair­es, les dépôts à neige, l’installati­on d’une entreprise de toilettage dans une résidence, d’une clinique de massothéra­pie et d’autres usages « sans impacts » sur l’agricultur­e.

L’idée n’est pas nouvelle: en 2009, dans le Rapport Ouimet, un ancien président de la CPTAQ avait proposé au gouverneme­nt Charest de soustraire certaines activités à des demandes de permis à la Commission.

Menace

Jeudi, deux autres groupes sont venus dénoncer l’article 185 et se porter à la défense de la CPTAQ. «Il s’agit d’une perte de compétence importante pour la CPTAQ, à laquelle l’Union s’oppose fermement», a fait valoir le président de l’Union des producteur­s agricoles (UPA), Marcel Groleau.

Dans son mémoire, l’UPA a souligné que, depuis 20 ans, 80 000 hectares de terres agricoles avaient été « détournés » pour en faire des projets résidentie­ls, industriel­s, commerciau­x ou autres. C’est l’équivalent de 800km² sur les 63 500km² que compte le territoire québécois.

«Ça peut être une menace au développem­ent de l’agricultur­e et de la relève », a quant à lui fait valoir Simon Bégin de l’Institut Jean-Garon. L’Institut concède que des réformes pourraient être légitimes dans le monde agricole, mais plaide que cela doit être débattu «dans un forum plus large à plus long terme».

Sur les 257 articles que compte le projet de loi 122, seulement 5 portent sur le monde agricole. Or leur portée est grande, a-t-il fait valoir en commission parlementa­ire. « La LPTAA, c’est une loi fondamenta­le, et je pense qu’on ne doit pas la traiter comme ça, à la légère, comme on le fait présenteme­nt. »

Il reste à savoir comment on s’y prendra pour légiférer sur la fameuse liste. Le ministre souhaite préciser cette liste par règlement, mais tant la CPTAQ que l’UPA s’y opposent. Elles préconisen­t plutôt qu’on intègre les changement­s directemen­t à la LPTAA.

Au cabinet du ministre, en fin de journée, on n’a pas voulu préciser ses intentions. «On a bien entendu les groupes et leurs inquiétude­s»,a dit son attachée de presse, Marie-Ève Therrien. «On va trouver la meilleure façon de faire les choses pour rassurer le monde agricole.»

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