Rouler une pelle en hiver
L’éducation lubriquement acceptable
L ’ennui avec les mononcles entreprenants, les dragueurs lourds du type Gerry Sklavounos ou Pierre Paradis, c’est qu’ils n’ont pas réalisé à quel point ils ont perdu leur lustre d’antan bien avant d’égarer leur réputation; que même le gel dans les cheveux n’en fera pas des Rudolph Valentino ou des Ryan Gosling; que le pouvoir est une substance aphrodisiaque qui s’émousse avec le temps; et qu’il faut davantage qu’une poignée de main appuyée pour affirmer sa domination de mâle alpha (voir Pussy Graber in Chief).
Si le flirt est un lubrifiant social que les NordAméricains maîtrisent généralement avec frilosité, la drague, elle, peut être expéditive et concluante si les deux cupidons s’avèrent consentants. Mais elle peut verser dans le harcèlement si le désir aveugle ou si l’on tombe sur la catégorie séducteur compulsif, ou érotomane boulimique de type latin lover.
Les exemples affluent de telle sorte depuis le scandale Ghomeshi qu’il serait utile de rappeler les règles d’usage que s’impose le playboy ordinaire, avant que tous les spécimens de l’espèce n’abdiquent pour de bon et se mettent à chanter comme des castrats.
Le jeu est délicieux, car l’issue incertaine, c’est bien là le goût du beau risque de l’amour et même de ses pâles imitations. Jusqu’où ne pas aller trop loin et comment flirter avec la transgression propre à la frontière intime de chacun. J’isolerais deux armes redoutables: l’instinct et l’humour.
Dans Les armes de la séduction, le psychiatre et sexologue italien Willy Pasini y va d’abord pour l’écoute (nous avons deux oreilles!) et explique que le bon séducteur « doit identifier rapidement sa proie, l’approcher lentement et conclure à nouveau rapidement». Le psy souligne que cette tactique — largement répandue dans le règne animal, ajouterais-je — est de plus en plus délaissée car les tourtereaux de notre époque sont pressés. Toutes les dérives sont alors possibles dans l’urgence de toucher au but.
À la grecque
Le séducteur en série est défini par Pasini comme «un drogué à qui l’imagination ne suffit pas». On peut toutefois affirmer que Zeus, le dieu grec, était un hyperséducteur qui ne manquait pas d’imagination. Pasini nous raconte qu’il s’est transformé en serpent pour séduire Perséphone, en caille pour Astéria, en cygne pour Léda et en pluie d’or pour Danaé. N’est pas dieu ni Grec qui veut, et chaque époque possède ses codes de séduction. Une bordée de neige peut être un prétexte à séduire, pelle à la main.
Approcher une femme aujourd’hui n’est pas si différent d’hier lorsque le respect et la lueur de plaisir teintent le fond de la prunelle, lorsque l’allusion est fine et la porte de sortie bien visible. Brusquer les choses n’est jamais indiqué.
«Le cocktail entre humour et romantisme est fort apprécié: ce dernier, trop désuet, ne fonctionne qu’au second degré, mais dans un monde qui a oublié la poésie, il peut toucher une fille», souligne le philosophe et historien Jean Claude Bologue dans L’invention de la drague.
Il raconte aussi que «demander un service à une fille est plus efficace que lui en rendre un». Il faut lui emprunter sa pelle avant de lui en rouler une, lui demander de se mettre au volant de votre auto le temps de l’extirper du banc de neige. L’homme qui se rend redevable créerait un lien. À vérifier…
Dans les dix armes les plus utilisées — outre l’écoute active et ensorceleuse —, Pasini cite les lieux et les moments magiques (pleine lune, tempête de neige, manifestation), la démarche, le regard, le sourire, les cheveux (!), la voix, le pouvoir de l’optimisme, les compliments qui rendent unique, le rire conquérant. Des classiques, quoi.
Tout cela peut tenir lieu de « socialisation » et contribuer à «alléger l’atmosphère» ou à «créer des liens», du moment où l’ont sait comment monter la mayonnaise ou préparer le tsatsiki en ne forçant pas trop sur l’ail.
La frustration d’un non
L’éducation sentimentale ou les techniques d’approche ne s’enseignent nulle part, et pourtant, elles sont dans l’ADN de chaque culture. Dans son recueil philosophique 21 clés pour l’amour slow, la médecin et psychanalyste Fabienne Kraemer explique sous la rubrique «Éthique»: «En revanche, aucun code de bonne conduite n’existe pour la rencontre amoureuse: chacun y va de son improvisation en fonction de ses scrupules propres.»
Elle déplore que nous « consommions » des êtres humains, jetables comme des objets. Elle souligne que, sur certains sites de rencontres comme dans les boîtes échangistes, seuls les hommes paient, renvoyant la femme à son statut peu enviable de marchandise. « Serait-il aussi simple d’être un tombeur si on jouait francjeu dès le départ?» demande-t-elle.
Au fil des entrées, «Calme», «Persévérance», «Altérité», «Modération», la Dre Kraemer nous amène doucement à voir que l’amour doit se questionner et que ses tâtonnements initiaux s’apprennent. «Nous nous croyons libres: nous sommes en vérité englués dans des idées toutes faites, éditées par d’autres que nous : les médias, les séries télé, les publicités. En aucun cas nous ne savons réellement ce qu’il nous faut, et nos certitudes ne sont le plus souvent que des pistes erronées. La crainte de la surprise provient de la peur de se laisser envahir par une émotion ingérable: la frustration.» Et la médecin/psy de remonter aux sources de l’enfance et de la frustration d’un non auquel les bambins ne sont plus exposés.
Et si c’était cette incapacité à faire face à la frustration qui expliquait tant de gestes déplacés, tant d’empressement à conclure ? Ajoutez à cette émotion désagréable l’horloge qui ne cesse de s’emballer, le narcissisme de l’air du temps, une culture machiste qui ne semble pas vouloir débander, et vous avez tous les ingrédients nécessaires pour créer des comportements impulsifs hautement répulsifs.
Sous couvert d’aimer, on assassine la confiance entre les sexes et le désir de s’abandonner sans être obligé de signer un formulaire de consentement. « Tes initiales, ici, ici et là ! »
«Car l’homme politique, étourdissant d’ubiquité, est sans cesse affairé, sans cesse en déplacement, chasse» et sans cesse à la Lydie Salvayre
«On disait trois fois à une femme qu’elle était jolie, car il n’en fallait pas plus: dès la première, assurément, elle vous croyait, vous remerciait à la seconde et assez communément, vous récompensait à la troisième Crébillon fils