Le Devoir

Le coup de coeur cannois Toni Erdmann débarque au Québec

Le coup de coeur cannois Toni Erdmann débarque au Québec

- FRANÇOIS LÉVESQUE

TONI ERDMANN (V.O., S.-T.F.)

1/2 Comédie dramatique de Maren Ade. Avec Peter Simonische­k, Sandra Hüller, Ingrid Bisu, Michael Wittenborn. Allemagne– Autriche, 2016, 162 minutes.

On a d’abord entendu parler de Toni Erdmann depuis le Festival de Cannes sous forme de déclaratio­ns d’amour critiques unanimes. Aucun superlatif n’était trop beau pour une presse qui lui souhaitait la Palme d’or. Le film de Maren Ade, sur un père farceur qui «crashe» l’existence de sa fille, ne s’est finalement pas hissé au palmarès. Il a en revanche, sans surprise, reçu le Prix de la fédération internatio­nale de la presse cinématogr­aphique (FIPRESCI). C’est en outre le candidat favori pour l’obtention de l’Oscar du meilleur film en langue étrangère. Long préambule, nécessaire, pour rappeler que de grosses attentes accompagne­nt Toni Erdmann, à l’affiche ce vendredi. Verdict dissonant ?

Oui et non. Cette comédie dramatique, qui devient graduellem­ent un drame «comédique», n’est pas le coup de coeur espéré. En fait, pendant toute la première des presque trois heures que dure Toni Erdmann (offert avec sous-titres français), on pense à ces anecdotes relatées a posteriori et qui, ne provoquant pas l’hilarité escomptée, entraînent la conclusion: «C’était super drôle sur le coup; il fallait être là.»

Peut-être, oui, fallait-il être là: question de contexte, de magie du moment, etc. Ou peut-être que quelque chose a échappé à ce spectateur-ci ? Ça s’est déjà vu, plus d’une fois.

On le précise, Toni Erdmann est un très bon film, parfois même brillant. Ce nom, Toni Erdmann, est en l’occurrence un personnage créé par Winfried Conradi, un hurluberlu mû par un besoin irrépressi­ble de déstabilis­er au moyen de blagues impliquant des personnali­tés d’emprunt… et de fausses dents. Ce n’est jamais méchant, juste inconforta­ble.

Cliché détourné

La relation entre Winfried et sa fille Inès est le point de focalisati­on du scénario de la réalisatri­ce, qui se serait en partie inspirée de son propre père. La profession d’Inès? Concevoir pour des multinatio­nales des modèles impopulair­es, telle l’externalis­ation de la maind’oeuvre, en laissant croire à celles-ci que c’est elle et sa boîte qui portent l’odieux de telles initiative­s. Bref, Inès permet à ses clients d’opérer dans le déni. Les laissés-pour-compte du «marché unique» de l’Union européenne se retrouvent ainsi en toile de fond du récit.

D’emblée, on tique sur le cliché de la jeune femme qui a du succès au prix de son épanouisse­ment personnel. Arrive à la rescousse papa, qui a forcément raison. Mais est-ce bien un sauvetage? Et, le cas échéant, qui sauve qui? De fait, Winfried vient de perdre son chien adoré, et s’immiscer dans la vie de sa fille lui permet de fuir son désarroi. Au fond, ces identités de rechange qu’il adopte ne sontelles pas qu’un moyen d’éviter toute introspect­ion.

Bref, ledit cliché est détourné, en cela qu’il correspond à la perception du père (et initialeme­nt du spectateur), et non à la réalité de la fille. De manière habile, l’auteure montre que, sous ses dehors coincés, Inès a hérité de son père cette propension à déconcerte­r les gens. Une rencontre avec son amant à l’hôtel et, surtout, un brunch qu’elle décide sur un coup de tête de tenir dans son plus simple appareil en font foi. Est-ce parce que papa est passé par là au préalable?

On peut le croire, mais le stoïcisme tranquille que maintient dans ces moments Inès (fabuleuse Sandra Huller) suggère le contraire.

Image irrésistib­le

Inès n’a pas été libérée : elle était libre tout du long. Ce que ne peut voir Winfried, lui dont le mode de vie (le seul valable ?) est aux antipodes de celui de sa fille. À Inès, donc, de se montrer conciliant­e.

La toute dernière scène est à cet égard révélatric­e. Enfilant les fausses dents de son père, elle lui présente une image irrésistib­le de « fille à son papa ». Pendant qu’il va chercher son appareil photo, elle retire les dents et regarde au loin, son visage de nouveau impassible.

À terme, c’est Inès qui sauve son père en lui laissant croire qu’il l’a sauvée, elle. Permettre à autrui de vivre dans le déni, c’est après tout sa spécialité.

Plus sombre qu’il n’y paraît, Toni Erdmann propose une réflexion pas toujours confortabl­e, mais néanmoins fascinante, sur les relations parents-enfants. Ou plutôt, enfants-parents. V.O., s.-t.f.: Quartier latin, Beaubien. V.O., s.-t.a.: Forum, Cinéma du Parc.

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MÉTROPOLE FILMS La relation entre Winfried et sa fille Inès est le point de focalisati­on du scénario de la réalisatri­ce, qui se serait inspirée de son propre père.

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