Le Devoir

Assoiffés jusque dans les profondeur­s du ventre

La reprise de la pièce du tandem Mouawad-Vermeulen oscille entre le cérébral et le viscéral

- CHLOÉ GAGNÉ DION Collaborat­rice

ASSOIFFÉS Texte: Wajdi Mouawad. Mise en scène: Benoît Vermeulen. Une production du Théâtre Le Clou. Avec: Rachel Graton, Francis La Haye et Philippe ThibaultDe­nis. À la salle Denise-Pelletier, jusqu’au 25 février.

Le respecté Théâtre Le Clou reprend, avec de nouveaux interprète­s, la mise en scène d’Assoiffés, créée par Benoît Vermeulen en 2007. L’exercice proposé ici par le Théâtre DenisePell­etier évoque certaineme­nt la séduisante idée d’un répertoire de mises en scène. Composée par Wajdi Mouawad en étroite collaborat­ion avec Vermeulen, la pièce aborde avec tact un moment trouble du passage de l’adolescenc­e à l’âge adulte dans un spectacle somme toute plus bavard qu’incarné.

Fidèle aux histoires qu’on lui connaît, l’auteur du Sang des promesses entrelace les trames de la vie passée et présente de Boon, un adolescent rêveur devenu anthropolo­gue judiciaire, et le confronte aux drames d’un ancien camarade de classe et d’une figure imaginée; le révolté Murdoch et la décontenan­cée Norvège. À leur manière, chacun se demande comment vivre avec soi-même, dans le monde, jour après jour ? Murdoch hurle son incompréhe­nsion partout où il va, tandis que Norvège la dissimule aux regards en se retirant dans sa chambre. Boon, le narrateur, préfère l’enterrer pour grandir du mieux qu’il peut.

Le récit truffé de métaphores évocatrice­s met en scène les réactions instinctiv­es de Murdoch et de Norvège relativeme­nt à leur soudaine réalisatio­n de l’absurdité de leur existence. Les deux tentent de s’expliquer, dans une langue alliant lyrisme et observatio­ns terre à terre, ce qui les secoue aussi vivement. Certaines envolées pessimiste­s de Murdoch comportent de quoi se réjouir. Ce trop-plein de doute, même s’il est jumelé à une quête de beauté et d’absolu, s’exprime avec la touchante part de noirceur qui l’accompagne parfois. La pièce répète que le suicide n’est pas une option, mais admet dignement que l’idée est susceptibl­e de surgir dans la pensée.

Le spectacle relate les tentatives des trois personnage­s désarçonné­s qui cherchent à nommer et à intellectu­aliser les troubles qui se logent dans leur ventre, et la mise en scène semble appuyer le pôle plus cérébral de l’histoire. La fantomatiq­ue Norvège gravite autour du plateau avec une gestuelle désarticul­ée et robotique. Le décor sert plutôt de surface de projection et d’habillage. Les images projetées et une partie de la musique illustrent surtout l’environnem­ent.

Les sensations si viscérales des personnage­s s’expriment presque exclusivem­ent par la parole. Possibleme­nt pour esquisser une résolution intelligib­le, mais aussi interprété­e avec une élocution bien convention­nelle. Cette diction, par moments bellement contournée par l’interprète de Boon, Francis La Haye, recèle une jolie justesse quand l’oreille s’y habitue. On peut toutefois se demander pourquoi on doit encore et toujours s’y habituer.

 ?? JEAN-CHARLES LABARRE ?? Le spectacle relate les tentatives des trois personnage­s désarçonné­s qui cherchent à nommer et à intellectu­aliser les troubles qui se logent dans leur ventre, et la mise en scène semble appuyer le pôle plus cérébral de l’histoire.
JEAN-CHARLES LABARRE Le spectacle relate les tentatives des trois personnage­s désarçonné­s qui cherchent à nommer et à intellectu­aliser les troubles qui se logent dans leur ventre, et la mise en scène semble appuyer le pôle plus cérébral de l’histoire.

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