Le Devoir

Trop bien soignés, les médecins ?

Le nombre d’actes posés diminue, mais leur rémunérati­on continue d’augmenter

- AMÉLIE DAOUST-BOISVERT

La productivi­té des médecins semble stagner, malgré l’importante croissance de leur rémunérati­on depuis cinq ans.

En effet, la rémunérati­on des médecins continue d’augmenter sans qu’ils ne posent plus d’actes médicaux, indiquent des données que la RAMQ a rendues disponible­s sur son site Web cette semaine. Par ailleurs, le nombre de médecins spécialist­es qui encaissent plus d’un demimillio­n de dollars en rémunérati­on à l’acte brute, incluant les frais de cabinet, a plus que doublé entre 2010 et 2015.

«La rémunérati­on des médecins est un des seuls secteurs en santé où on investit massivemen­t, avec zéro retour sur notre investisse­ment», conclut Damien Contandrio­poulos.

Comme chaque année depuis cinq ans, le chercheur à l’Université de Montréal a analysé ces statistiqu­es selon une méthodolog­ie qu’il a mise au point et qui a été l’objet d’une publicatio­n scientifiq­ue par le passé.

Dans le cas des spécialist­es, entre 2010 et 2015, la RAMQ a payé 35 % de plus sans obtenir plus d’actes médicaux en échange, remarque le chercheur. Pour les omnipratic­iens, même scénario, mais pour une augmentati­on de 23 % des paiements.

Pendant cette période, la population du Québec a connu une croissance de plus de 4 %.

«En gros, on est au niveau de 2010 sur le plan des actes médicaux posés, alors que la population augmente et vieillit, donc que les besoins augmentent, soutient le titulaire de la Chaire de recherche Politiques, connaissan­ces et santé. Ça veut dire qu’on est en train de rationner: on diminue la quantité de services médicaux qu’on offre à la population. »

La CSN posait sensibleme­nt le même constat plus tôt cette semaine après avoir analysé les budgets des établissem­ents, qui excluent la ré- munération des médecins.

Le chercheur Contandrio­poulos affirme que sa méthode de calcul, qui tient compte de tous les paiements de la RAMQ, dont ceux à l’acte, surestime même la quantité de soins donnés. «J’essaie de dresser le portrait le plus optimiste possible, d’être prudent. Je n’essaie pas de faire de la polémique », assure-t-il.

Réelle baisse de productivi­té?

Comment expliquer ces constats? Le chercheur dit ne pas disposer de données robustes pour justifier une hypothèse plus qu’une autre.

«Il peut y avoir un effet de revenu, c’est-à-dire que, quand on augmente rapidement leur rémunérati­on, les gens diminuent leur intensité de travail. On a fait des entrevues avec des médecins qui nous confirment que ça existe», indique M. Contandrio­poulos.

Il soulève aussi l’hypothèse génération­nelle alors que la profession médicale se féminise et se rajeunit. Les cohortes diplômées ces dernières années sont plus nombreuses que jamais. «Les plus jeunes médecins veulent avoir une vie personnell­e », résume le chercheur. Il travaille actuelleme­nt à un projet de recherche sur trois ans sur la rémunérati­on médicale, un travail commandé par le Commissair­e à la santé et au bien-être avant l’annonce de son abolition.

Augmentati­on de la rémunérati­on

De plus en plus de médecins encaissent plus de 500 000dollars brut en rémunérati­on à l’acte, révèlent d’autres données rendues disponible­s par la RAMQ. En 2015, près de 22% des médecins spécialist­es ont facturé pour plus d’un demi-million de dollars brut en actes médicaux. Parmi eux, 399 radiologis­tes, 179 ophtalmolo­gistes et 161 chirurgien­s généraux. La proportion a doublé depuis 2010, alors que 10,7% des spécialist­es atteignaie­nt ce niveau de rémunérati­on brute.

Du côté des omnipratic­iens, ils ont été 117 en 2015 à obtenir plus de 500 000dollars de la RAMQ en rémunérati­on brute à l’acte, soit à peine un peu plus de 1 % d’entre eux.

La rémunérati­on moyenne brute à l’acte des spécialist­es s’élevait à 354 527dollars en 2015, contre 174 578 dollars pour les omnipratic­iens.

Ces montants ne nous informent pas sur la rémunérati­on nette des médecins. D’abord, ils n’incluent pas les autres formes de revenus, comme les paiements à forfait, à taux horaire ou les paiements provenant des patients. De plus, ces montants incluent ceux versés pour couvrir les frais d’exercice en cabinet. Selon la RAMQ, ils sont en moyenne de 35%, mais de 70 % dans le cas des radiologis­tes. Pour la portion des actes posés à l’hôpital, cette bonificati­on n’est pas versée. Les statistiqu­es ne précisent pas la portion d’actes posés à l’hôpital et en cabinet.

Les omnis disent «déléguer» plus

La Fédération des médecins omnipratic­iens du Québec (FMOQ) donne un autre éclairage aux données.

Il est «tout à fait normal» que les médecins de famille ne posent pas plus d’actes médicaux en 2015 qu’en 2010, selon son président, le Dr Louis Godin. Ce serait même une bonne nouvelle, selon lui.

« Avec l’implantati­on des groupes de médecine familiale [GMF], il y a beaucoup d’actes qui ont été délégués à d’autres profession­nels. C’est le cas par exemple du suivi des maladies chroniques, qui peut être fait par les infirmière­s. Le patient voit son médecin peut-être une fois sur trois. On trouve que c’est une bonne chose », explique-t-il.

Il pense que ces résultats s’expliquent aussi par le fait que les médecins abandonnen­t peu à peu les examens courts, pour des problèmes simples. Ils les délèguent aux infirmière­s, au bénéfice d’examens plus longs pour des problèmes plus complexes. Dans les statistiqu­es de la RAMQ, un acte est un acte, peu importe sa complexité ou le temps qu’il monopolise. «On veut que les médecins s’occupent des gens les plus malades. Je vois dans ces données quelque chose de tout à fait positif ! Les médecins ne travaillen­t pas moins, mais différemme­nt.»

Il s’insurge toutefois de l’écart de rémunérati­on qui se creuse avec les collègues spécialist­es et compte en faire l’enjeu principal des négociatio­ns qui s’amorcent avec le gouverneme­nt. «L’écart de 50-60% que l’on voit actuelleme­nt, il est carrément inacceptab­le! On peut convenir qu’un écart de 20 à 25% serait justifiabl­e. On amorce les négociatio­ns avec ça en tête », dit le Dr Godin.

La présidente de la Fédération des médecins spécialist­es du Québec, la Dre Diane Francoeur, était dans l’impossibil­ité d’accorder une entrevue, vendredi.

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