Le Devoir

Deux coaccusés de Vaillancou­rt libérés à cause de délais déraisonna­bles

- PIERRE SAINT-ARNAUD

Le juge James Brunton, de la Cour supérieure, vient de lancer un sévère avertissem­ent à la communauté juridique: l’arrêt Jordan, par lequel la Cour suprême a imposé des limites strictes aux délais raisonnabl­es, n’est pas une carte de sortie de prison automatiqu­e, et ce, même si ces limites sont largement dépassées.

Dans une série de trois décisions liées au scandale de fraude et de corruption à la Ville de Laval, le magistrat a jeté les bases d’un argumentai­re qui risque fort d’être repris par le ministère public lorsque des accusés tenteront de se soustraire à la justice en invoquant des délais déraisonna­bles.

Ainsi, seulement deux accusés parmi les treize qui ont invoqué la décision du plus haut tribunal ont obtenu un arrêt des procédures, même si le procès des onze autres ira bien au-delà de la limite de 30 mois prévue par l’arrêt Jordan.

Le juge Brunton note, après tous les calculs requis, que les deux procès qui sont prévus à la suite de la chute de l’administra­tion de l’ex-maire Gilles Vaillancou­rt viendront à terme après 51 et 52 mois.

Par contre, le magistrat souligne que l’arrêt Jordan permet d’outrepasse­r le délai dans «les affaires particuliè­rement complexes » et note, à cet effet, que le dossier repose sur ce que la Couronne présente comme une «preuve monstrueus­e» décrivant une criminalit­é qui s’est étendue sur 14 ans.

Mesures exceptionn­elles

Mais surtout, la décision du juge Brunton invoque le concept de la «mesure transitoir­e exceptionn­elle», une provision contenue dans l’arrêt Jordan qui souligne que «les juges qui oeuvrent dans les juridictio­ns où sévissent des longs délais institutio­nnels tenaces et connus doivent tenir compte de cette réalité, puisque les problèmes de délais systémique­s limitent ce que peuvent faire les avocats du ministère public».

Le juge Brunton conclut donc «qu’un délai de 51 ou 52 mois, dans le contexte de la criminalit­é alléguée et du nombre d’accusés, est viable en vertu des mesures transitoir­es décrites au paragraphe 97 de l’arrêt Jordan».

Malgré tout, le tribunal donne raison à deux des accusés, soit les avocats Jean Bertrand, collecteur de fonds pour le parti PRO des Lavallois, à qui l’on reprochait d’avoir déposé des gains illicites dans la caisse du parti, et Me Robert Talbot, avocat de la famille Vaillancou­rt, qui aurait pris possession de gains illicites de 400 000$.

Le juge Brunton estime que ces deux hommes n’auraient pas dû être accusés conjointem­ent avec les autres suspects parce que la preuve requise pour les juger était beaucoup moins complexe et aurait nécessité un procès « beaucoup moins long ».

La décision de les accuser conjointem­ent avec les autres suspects, selon lui, n’a donc «pas protégé leur droit d’avoir un procès dans un délai raisonnabl­e ».

Les 37 accusés dans ce dossier avaient été appréhendé­s en 2013.

Gilles Vaillancou­rt a plaidé coupable à trois chefs d’accusation de fraude, complot pour fraude et d’abus de confiance en décembre dernier et a accepté de rembourser quelque 8,5 millions de dollars à la Ville.

Plus tôt cette semaine, le juge Brunton avait accepté de scinder le dossier en deux procès distincts, soit un pour les 16 politicien­s, fonctionna­ires et ingénieurs impliqués dans le scandale, et un autre pour les 17 entreprene­urs visés.

Selon le juge, ces deux hommes n’auraient pas dû être accusés avec les autres suspects, car la preuve requise pour les juger était beaucoup moins complexe

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