Le Devoir

Michel David sur le gouverneme­nt et les « valeurs libérales »

- mdavid@ledevoir.com MICHEL DAVID

En 2014, Carlos Leitão s’est joint à l’équipe libérale auréolé de la réputation de grand prévisionn­iste que l’agence de presse Bloomberg lui avait faite quelques années auparavant. En sa qualité de ministre des Finances, il s’est révélé un excellent technicien, mais ses talents de politicien restent à être démontrés.

Heureuseme­nt, quelqu’un au bureau du premier ministre Couillard a fini par allumer. S’en prendre aux personnes âgées à un an et demi des élections n’était pas la trouvaille du siècle. À voir Jean-François Lisée et François Legault déchirer leur chemise à l’Assemblée nationale, il était facile d’imaginer quel ton ils adopteraie­nt au cours de la prochaine campagne électorale.

Déjà, le mois dernier, le président du Conseil pour la protection des malades, Paul Brunet, avait utilisé une image-choc durant les audiences publiques sur le projet de loi 115 visant à contrer la maltraitan­ce envers les aînés. Ses dispositio­ns feraient en sorte qu’ils seraient moins bien traités que les animaux, avait-il lancé.

Le réaménagem­ent des crédits d’impôt projeté par le ministre des Finances partait d’une intention louable. La population québécoise vieillit, la main-d’oeuvre se raréfie et les retraités pèsent de plus en plus lourd sur les finances publiques. Inciter les gens à prendre leur retraite le plus tard possible paraît donc tout indiqué.

D’un point de vue strictemen­t comptable, il pouvait sembler logique de financer le devancemen­t de l’âge d’admissibil­ité au crédit d’impôt accordé aux « travailleu­rs d’expérience», qu’on souhaite retenir sur le marché du travail, en retardant celui qui est accordé «en raison de l’âge». Il ne s’agit malheureus­ement pas de vases communican­ts, comme M. Leitão semblait le croire. Il serait tout à fait inéquitabl­e, pour ne pas dire odieux, d’avantager le travailleu­r qui est en mesure d’allonger sa vie active en pénalisant celui dont l’épuisement exige un repos. M. Couillard a fait une heureuse volte-face vendredi, mais il demeure troublant qu’une telle injustice n’ait pas sauté aux yeux au départ.

S’en prendre aux aînés à un an et demi des élections n’était pas la trouvaille du siècle

La justice sociale est une des grandes « valeurs libérales» recensées par Claude Ryan dans son opuscule de 2002, que le PLQ redécouvre immanquabl­ement au fur et à mesure qu’une échéance électorale se profile à l’horizon. Pour reprendre la douteuse expression de Jean Charest, l’empathie devient alors son «cheval de bataille».

« Nous parlons bien de valeurs, non de principes abstraits ou de doctrines sèches. Les valeurs reposent certes sur des principes, mais elles évoquent des principes incarnés dans la vie, non des propositio­ns coupées de la réalité», écrivait M. Ryan. Être libéral signifiait notamment être «sensible aux besoins des êtres plus faibles».

Le moins qu’on puisse dire est que cette sensibilit­é n’a pas été le trait dominant du gouverneme­nt Couillard depuis l’élection d’avril 2014. Dans son rapport publié en septembre dernier, la protectric­e du citoyen avait dressé un bilan très sévère de la première moitié de son mandat. Contrairem­ent à ce que ce gouverneme­nt répétait ad nauseam, ce n’étaient pas les structures qui avaient fait les frais de ses politiques d’austérité, mais plutôt les personnes les plus vulnérable­s de la société, notamment les aînés auxquels les services dans les CHSLD et les soins à domicile étaient dispensés au comptegout­tes.

Si les effets de l’austérité sur un individu ne sont pas toujours faciles à quantifier, il n’est pas nécessaire d’être un grand prévisionn­iste pour évaluer l’impact de la perte d’un crédit d’impôt d’une valeur de 500$ sur un revenu inférieur à 18 000$. Peut-être était-ce trop simple pour le ministre des Finances.

C’est la deuxième fois en autant de semaines que le gouverneme­nt fait marche arrière. Au début du mois, le nouveau ministre de l’Agricultur­e, Laurent Lessard, avait renoncé aux modificati­ons au programme de crédit de taxes foncières agricoles annoncées par son prédécesse­ur, Pierre Paradis, lesquelles avaient provoqué la colère de l’UPA. Là encore, M. Leitão soutenait dur comme fer que les changement­s projetés n’affecterai­ent qu’une poignée de gros exploitant­s.

Il est vrai que les agriculteu­rs avaient fait valoir un argument convaincan­t en menaçant de bloquer les sentiers de motoneige et que le départ de M. Paradis, qui semblait en avoir fait une affaire personnell­e, a dû faciliter les choses. Dans ce que M. Lessard a appelé de façon savoureuse « l’évaluation d’une incompréhe­nsion », on peut cependant penser que le poids du vote agricole, qui est déterminan­t dans plusieurs circonscri­ptions dont les libéraux auront besoin en octobre 2018, a pesé dans la balance.

Cette année encore, les surplus budgétaire­s seront au rendez-vous. Il vaut mieux profiter maintenant de la redécouver­te des « valeurs libérales » parce qu’elles ont la fâcheuse tendance à retomber dans l’oubli au lendemain de l’élection.

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