Le Devoir

Macron, le candidat friable

Après l’ascension fulgurante, les premières difficulté­s

- CHRISTIAN RIOUX Correspond­ant à Paris

Il voulait réconcilie­r la France. Unir Jeanne d’Arc et la Révolution. Réconcilie­r le Vendéen Philippe de Villiers avec les bobos parisiens. Le candidat-vedette Emmanuel Macron, celui qui se disait «ni gauche ni droite», ou parfois «et de gauche et de droite», vient de découvrir que la tâche sera plus difficile que prévu. Alors qu’il visitait l’Algérie, sa déclaratio­n qualifiant la colonisati­on française de «crime contre l’humanité» a soulevé un tollé dans toute la France. On raconte même qu’à l’Élysée, François Hollande a piqué une colère noire. Signe probableme­nt que la candidatur­e de son ancien conseiller économique ne lui est pas tout à fait indifféren­te.

Par ce coup d’éclat, celui qui arrive maintenant, avec 20% des voix dans les sondages, derrière Marine Le Pen (25 %) et légèrement devant le candidat de la droite François Fillon (18%) a déclenché les passions. L’épisode passera probableme­nt à l’histoire comme le baptême du feu d’une campagne où le candidat avait jusque-là surtout fait la une en posant avec son épouse dans les magazines people. Dans le quotidien L’Opinion, Nicolas Beytout y voit «le premier signal négatif qui s’allume sur la route de celui qui depuis un an a effectué une ascension exceptionn­elle».

À droite, la levée de boucliers a été unanime non seulement chez les partisans de Marine Le Pen, mais aussi chez ceux de François Fillon. En prononçant cette phrase, Macron se rend aux demandes de l’Algérie, qui a toujours exigé des excuses de la France. On accuse le centriste de clientélis­me et on dénonce une tentative d’aller chercher le vote des banlieues au moment justement où celles-ci sont sur les dents à cause de ce qui apparaît comme une grave bavure policière.

Pas de «culture française»?

Même à gauche on peine à défendre la déclaratio­n du candidat qui se dit «progressis­te» en rappelant que, depuis la Seconde Guerre mondiale, le «crime contre l’humanité» implique la volonté d’exterminer une population. Ce qui n’a jamais été le cas en Algérie. Le candidat socialiste Benoît Hamon a dénoncé des propos qui «sont un grand fouillis et se contredise­nt». À l’automne, Emmanuel Macron avait en effet affirmé que, dans la colonisati­on, «il y a eu des éléments de civilisati­on et des éléments de barbarie ».

Nul doute que cette déclaratio­n a aussi irrité l’ancien candidat centriste François Bayrou, un passionné d’histoire qui a toujours défendu l’«identité française». D’autant plus que, quelques jours plus tôt, Emmanuel Macron affirmait aussi qu’il n’y avait «pas de culture française », mais «une culture en France» qui était « diverse. » On peut même se demander si de telles déclaratio­ns ne pousseront pas Bayrou, qui courtise la même clientèle que Macron, à se présenter pour ne pas laisser le centre à un candidat avec lequel il a autant de désaccords. On attend une décision d’ici quelques jours.

Dans le pays qui a inventé la gauche et la droite, il n’a jamais été facile d’être le candidat du centre. De l’ancien premier ministre Raymond Barre à François Bayrou, les candidatur­es centristes à la présidenti­elle se sont généraleme­nt soldées par des échecs retentissa­nts. Car elles obligent le candidat à un chassécroi­sé périlleux. Emmanuel Macron l’a à nouveau expériment­é à ses dépens en affirmant que, dans le débat sur le mariage homosexuel, on avait «humilié» une partie de la France. Il a aussitôt été accusé par les organismes de défense des homosexuel­s de « draguer » la droite.

Emmanuel Macron veut cependant croire que cette élection, qui ressemble pour l’instant à une boîte à surprises, sera différente des anciennes. Bref, que les vieux clivages sont caducs.

Un socle friable

Le politologu­e Thomas Guénolé a étudié, à l’aide du logiciel TalkWalker, l’exposition médiatique d’Emmanuel Macron. Dans le magazine Marianne, il en a conclu qu’il a bénéficié jusqu’au début de l’année d’un « matraquage médiatique colossal» comparable seulement à celui dont avait pu jouir Nicolas Sarkozy lorsqu’il était ministre de l’Intérieur. C’est donc maintenant que le véritable combat commence.

Or, la première découverte des sondeurs, c’est que son électorat est l’un des plus friables de cette présidenti­elle. Même s’il atteint un niveau de soutien étonnant et inégalé pour un candidat sans véritable parti, seulement 36% de ses soutiens se disent assurés de leur vote. L’écart est énorme avec Marine Le Pen, qui jouit du socle le plus solide (81%), et même avec François Fillon (70%), dont les fidèles demeurent déterminés malgré ses déboires devant la justice.

Depuis un mois, la presse talonne Emmanuel Macron pour connaître son programme, que l’on annonce pour bientôt. Même s’il a fait connaître des propositio­ns ici et là, le candidat est en effet le seul à ne pas avoir publié de programme en bonne et due forme. Plus le temps passe, plus les journalist­es craignent qu’il en reporte la publicatio­n le plus tard possible. Pour le philosophe Marcel Gauchet, interrogé par L’Obs, cela s’explique facilement. Macron, dit-il, est essentiell­ement «porteur d’une vision économique du monde. Pour lui, la vie des sociétés se résume à l’économie. […] Il en appelle à la normalisat­ion d’une des dernières nations à défendre une vision politique de la démocratie, contrairem­ent à la philosophi­e économiste du monde occidental». Le philosophe craint qu’au second tour, les Français aient à choisir «entre un candidat postmodern­e d’un côté [Macron] et un candidat fossile de l’autre [Le Pen] ».

Sur un mince fil

Il est pourtant rare que les campagnes électorale­s françaises se jouent sur les questions économique­s. Les enquêtes montrent que, pour l’instant, les supporteur­s d’Emmanuel Macron se tiennent sur un fil assez mince sur la plupart des grandes questions politiques. Interrogés sur le rôle de l’État, le libéralism­e économique et l’immigratio­n, ils sont dans un équilibre parfait, à mi-chemin entre la gauche et la droite. Pour Jérôme Fourquet, de l’Ifop, «la nature cosmopolit­e de l’électorat de Macron peut paraître de prime abord utile pour un candidat qui souhaite dépasser le clivage gauche-droite. Mais cette spécificit­é est également une faiblesse dans la mesure où, sur toutes ces thématique­s, ce nouvel électorat en gestation est littéralem­ent coupé en deux. On comprend dès lors pourquoi, pour l’heure, le candidat entretient un certain flou sur ses propositio­ns».

Toute clarificat­ion risque donc de provoquer chez certains supporteur­s un retour dans sa famille politique. Ce qu’Emmanuel Macron gagne en affirmant que la culture française n’existe pas, il peut aussi le perdre en disant son attachemen­t à Jeanne d’Arc. Cet assemblage tiendra-t-il jusqu’au premier tour de la présidenti­elle ? C’est toute l’énigme de la candidatur­e d’Emmanuel Macron. Tant il est vrai qu’«on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses propres dépens», disait le cardinal de Retz.

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STR / AGENCE FRANCE-PRESSE Alors qu’il visitait l’Algérie cette semaine, Emmanuel Macron a qualifié la colonisati­on française de «crime contre l’humanité», ce qui a soulevé un tollé dans toute la France.

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