Le Devoir

Déficit démocratiq­ue

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Avec le projet de loi 122, le gouverneme­nt Couillard veut reconnaîtr­e les municipali­tés comme des gouverneme­nts de proximité. Il accorde plus de pouvoirs aux élus municipaux. Mais en même temps, il enlève du pouvoir aux citoyens, qui ne pourront plus s’opposer, par voie de référendum, aux règlements d’emprunts ou aux changement­s de zonage.

Pendant que la commission Charbonnea­u se penchait sur la corruption et la collusion dans le monde municipal, Jean Perrault, l’ancien maire de Sherbrooke, planchait sur un rapport en vue d’accorder plus de pouvoirs aux municipali­tés et d’alléger les contrôles et la reddition de compte auxquels elles sont soumises. Son rapport fut déposé en octobre 2015, un mois avant celui de la commission Charbonnea­u. Il s’intitulait Faire confiance ; ça ne s’invente pas.

Le ministre des Affaires municipale­s et de l’Occupation du territoire, Martin Coiteux, a présenté le projet de loi 122 à l’automne, et les consultati­ons publiques en commission parlementa­ire à ce sujet ont débuté la semaine dernière pour se poursuivre cette semaine.

Tant l’Union des municipali­tés du Québec (UMQ) que la Fédération québécoise des municipali­tés (FQM) saluent le projet de loi. Il faut dire qu’il répond aux attentes des élus municipaux. Il est taillé sur mesure pour eux. Le gouverneme­nt libéral, qui a imposé une coupe de 300 millions dans les transferts aux municipali­tés, avait quelque chose à se faire pardonner.

Les citoyens ne pourront plus s’opposer aux règlements d’emprunts pour des travaux de voirie et d’eau, donc aux nouveaux développem­ents qu’ils jugeraient trop ambitieux et onéreux. Ils ne pourront plus s’opposer aux changement­s de zonage liés aux projets de densificat­ion qui consistent, bien souvent, en la constructi­on de condos de plusieurs étages. Ce droit de veto consenti à des groupes de citoyens affectés par les changement­s de zonage était la bête noire de plusieurs maires, fonctionna­ires et promoteurs. En 2008, un rapport signé par Jean-Paul L’Allier recommanda­it l’abolition des référendum­s parce qu’ils consacraie­nt, selon lui, la primauté d’intérêts particulie­rs sur l’intérêt général.

Ces référendum­s furent relativeme­nt peu nombreux. Or leur existence même a contribué à embêter bien des promoteurs, mais aussi à améliorer bien des projets, soulignent leurs défenseurs.

À Montréal et à Québec, les référendum­s sont simplement abolis. Pour les autres municipali­tés, des «zones de requalific­ation» pourront être délimitées à l’intérieur desquelles les projets ne pourront pas faire l’objet de référendum­s. Les villes devront toutefois adopter une politique de consultati­on et rendre publique une analyse du projet visé. On remplace ainsi les référendum­s par des exercices de consultati­on.

Autre changement majeur: le projet de loi 122 porte de 25 000$, une valeur fixée en 1977, à 100 000$ le montant des contrats sujets aux appels d’offres. Les municipali­tés devront se doter une politique d’attributio­n des contrats de gré à gré. Par exemple, une ville pourrait s’engager, pour certains types de contrats, à obtenir le prix de trois fournisseu­rs.

Ce sont les petites villes qui seront le plus affectées par ce changement. Dans son mémoire présenté en commission parlementa­ire, la Ligue d’action civique, une organisati­on non partisane qui fut créée au moment de la mise sur pied de la commission Charbonnea­u, a calculé que, pour une municipali­té comme Mont-Joli, par exemple, qui compte 6700 habitants, 72 % des contrats qui ont fait l’objet d’appels d’offres seraient conclus de gré à gré en vertu des nouvelles règles.

Il peut y avoir des mérites à remplacer les référendum­s par de véritables consultati­ons qui tiennent obligatoir­ement compte de l’avis des citoyens et qui font en sorte que les mauvais projets — et ils existent — soient abandonnés ou modifiés. Mais le projet 122 n’apporte aucune garantie qu’elles le feront.

Qui plus est, la démocratie municipale est souvent déficiente, faute de médias non complaisan­ts ou même de la présence d’une opposition au conseil de ville. Le projet de loi affaiblit le pouvoir des citoyens sans renforcer les contre-pouvoirs. Ainsi, d’importante­s recommanda­tions de la commission Charbonnea­u portant sur ces contre-pouvoirs n’ont pas été appliquées, notamment celle de faire en sorte que le Vérificate­ur général du Québec (VG) puisse veiller sur les municipali­tés de moins de 100 000 habitants. L’autonomie, c’est bien, mais, sans un renforceme­nt du pouvoir démocratiq­ue au sein des municipali­tés, elle peut conduire à des dérives.

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ROBERT DUTRISAC

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