Le Devoir

Des publicités pour enfants de mauvais goût !

- DR E JULIE ST-PIERRE Pédiatre spécialisé­e en obésité infantile Présidente du Réseau d’action en santé cardiovasc­ulaire (Clinique 180)

Depuis de nombreuses années, l’Organisati­on mondiale de la santé et plusieurs organismes de santé publique sont montés aux barricades pour demander qu’on cesse de bombarder les enfants de publicités vantant des produits qui sont mauvais pour la santé.

Pendant ce temps, au Canada, l’industrie des aliments et boissons préfère… s’autoréglem­enter. Force est d’admettre que cette volonté nous a tous conduits vers un cuisant échec. Cette initiative, qui n’est pas obligatoir­e, est basée sur des critères nutritionn­els que l’industrie s’est elle-même fixés, c’est-à-dire peu sévères et souvent même mensongers. Pire encore, une étude publiée récemment par la Fondation des maladies du coeur et de l’AVC a démontré que l’industrie va à l’encontre de ses propres principes alors que le volume de publicité ciblant les enfants a même considérab­lement augmenté. Ces investisse­ments en publicités, qui atteignent facilement le milliard de dollars, seront en partie responsabl­es d’une crise de santé publique annoncée.

[…] Pendant un an, la docteure Monique Potvin Kent, de l’Université d’Ottawa, a étudié la publicité concernant les boissons et aliments présentée sur les dix sites Web les plus fréquentés par les enfants (de 2 à 11 ans) et les jeunes (de 12 à 17 ans). Sa recherche l’a amenée à évaluer tant le volume de publicités diffusées que la qualité nutritionn­elle des produits. Les résultats ont de quoi vous jeter par terre.

Au cours d’une année seulement, les enfants de 2 à 11 ans ont vu plus de 25 millions de publicités de boissons et aliments malsains. Ce nombre, dois-je le rappeler, ne concerne que dix sites Web pour enfants. Il ne tient pas compte du marketing fait sur les autres sites, à la télévision, de l’affichage à leur intention dans les épiceries, par leurs vedettes préférées qui s’associent à certains de ces produits, et j’en passe. Ce qui est inquiétant, c’est que 93% des publicités observées font la promotion de produits trop riches en sel, en gras ou en sucre.

[…] Depuis 1979, le taux d’obésité infantile a triplé et celui de la population adulte n’est guère mieux. Les Canadiens sont de plus en plus obèses et les plus jeunes passent près de huit heures par jour devant des écrans. Chaque année, l’obésité, les maladies du coeur et les AVC coûtent près de 30 milliards aux contribuab­les canadiens. Les aliments transformé­s représenta­nt en moyenne 60% des achats alimentair­es des familles, soit le double de ce que nos grands-parents achetaient à la fin de la Seconde Guerre mondiale. On pose maintenant des diagnostic­s, par exemple le diabète de type 2, chez des jeunes de cinq ans, alors qu’il n’y a pas si longtemps on ne voyait pas ce genre de maladie à un âge aussi précoce.

Au cours d’une année seulement, les enfants de 2 à 11 ans ont vu plus de 25 millions de publicités de boissons et aliments malsains

Fidéliser le jeune consommate­ur

Voilà que les stratèges de l’industrie s’attaquent aux plus vulnérable­s, nos enfants, une génération de futurs consommate­urs. La tactique est fort simple: fidéliser le consommate­ur dès son jeune âge et influencer ses habitudes de consommati­on tout au long de son existence. […]

Dans cette tempête commercial­e, les parents ont un rôle indispensa­ble à jouer, mais encore faut-il leur en donner les moyens. Avec l’arsenal budgétaire dont disposent les stratèges du marketing, la bataille se mène à armes inégales. Nous savons bien que les restrictio­ns publicitai­res ne seront pas une solution miracle pour résoudre le problème de l’obésité infantile, mais elle sera tout de même une arme efficace pour que cesse ce bombardeme­nt de publicités auquel nos enfants font face.

La province du Québec fait figure d’exception en matière de marketing ciblant les enfants. La Loi sur la protection du consommate­ur interdit la publicité de tous biens et services destinés aux enfants de moins de 13 ans. L’épidémie d’obésité continue de progresser de façon alarmante partout au Canada, mais au Québec, cette progressio­n est moins rapide. Cette loi est bonne, certes, mais il en faudrait bien plus pour lutter contre l’épidémie d’obésité qui fait des ravages chez nos enfants.

Si l’État canadien a un rôle à jouer dans cette histoire, c’est celui d’un bon père de famille. Il a le pouvoir de contrôler les canaux de diffusion et de mettre fin à la manipulati­on alimentair­e de nos vulnérable­s enfants. D’autres mesures, comme la taxation des boissons sucrées, doivent urgemment être mises en place. Car si rien n’est fait aujourd’hui, on risque de voir l’espérance de vie d’une génération entière diminuer.

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