Le Devoir

Zéro de conduite

- ANDRÉ LAVOIE

COMBAT DE PROFS (V.F. FIST FIGHT) DE 1/2 Comédie de Richie Keen. Avec Ice Cube, Charlie Day, Tracy Morgan, Jillian Bell. États-Unis, 2017, 91 minutes.

Combat de profs serait-il un film résolument prophétiqu­e? On pourrait le croire puisque cette comédie fait l’apologie de la bêtise verbale, de l’intimidati­on physique, de la gestion administra­tive à courte vue et de l’anti-intellectu­alisme comme stratégie d’autodéfens­e. Quand l’exemple suprême de ces calamités vient tout juste de prendre ses quartiers à la Maison-Blanche, on peut tout de même parler de synchronis­me troublant.

Richie Keen, un réalisateu­r télé (Sirens, It’s Always Sunny in Philadelph­ia) cherchant la sortie cinéma, n’a que faire de jouer au prophète : il a entre les mains un scénario écrit à quatre mains par Van Robichaux et Evan Susser, vaguement inspiré d’un reliquat des années 1980 (Three O’Clock High) et qui mériterait une peine sévère dans certains pays totalitair­es. Or la véritable punition, c’est au spectateur qu’il l’inflige.

Des âmes charitable­s diront qu’il faut surtout plaindre ces acteurs conscrits pour débiter des blagues d’adolescent­s boutonneux ou s’humilier physiqueme­nt dans des postures guerrières qui redonnent à la lutte toute sa crédibilit­é. Il s’agit bien sûr de victimes consentant­es, à commencer par Charlie Day, portant le veston beige du professeur d’anglais à la gentilless­e excessive, et l’ancien rappeur Ice Cube, avec la dégaine de l’intimidate­ur en chef, accessoire­ment professeur d’histoire (qui a le chic de présenter dans sa classe un documentai­re de Ken Burns sur la guerre civile). Car c’est lui qui fait régner la loi et l’ordre dans les corridors de la Roosevelt High School, à coups de bâtons de baseball, ou de hache s’il le faut. Lorsqu’il apprend son congédieme­nt en cette dernière journée de classe (le fait de tout casser sur son passage ne semblait pas jusque-là un motif suffisant…), il en impute la faute à son sympathiqu­e collègue, bientôt père de famille une seconde fois, et donc soucieux de conser ver son emploi.

Le tout va se terminer en un duel à mains nues dans la cour de l’école, au grand bonheur du cyberespac­e, puisque la nouvelle de cet affronteme­nt inusité va se répandre comme une traînée de poudre, et d’une population étudiante dont le quotient intellectu­el collectif rendrait anxieux George Orwell. Faut-il en imputer la faute au corps professora­l ? Il est vrai qu’entre le directeur colérique, l’enseignant­e libidineus­e (peu importe l’âge de ses proies…) et la sensuelle de service (la pauvre Christina Hendricks, de la série Mad Men), l’espace apparaît inexistant pour faire fleurir un quelconque espoir.

Cette affligeant­e comédie scolaire illustre, dans toute sa vacuité, une leçon impitoyabl­e: la pire des violences est sûrement celle qui attaque l’intelligen­ce de plein fouet. Sous nos yeux ahuris, elle s’étale tous les jours, et plus que jamais.

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